Le Coran par SirilAnouna

Je vais vous faire une confidence : dans la trilogie des livres sacrés monothéistes, le Coran est mon petit chouchou.

J'avais bien aimé la Torah, qui malgré un style assez anarchique qui se mêle assez mal à sa narration archi-linéaire, conserve un certain intérêt historique autant que mystique. J'avais peu apprécié le remake réalisé à peine quelques siècles plus tard, appelé aujourd'hui "l'Ancien Testament". Le côté mystique et poétique s'était pas mal estompé pour laisser une oeuvre froide, neutre bien que purement subjective puisqu'écrite par la main de l'homme. Le Nouveau Testament a bien essayé de remédier à ce côté un peu froid en tentant d'introduire de l'émotion, ce qui n'a hélas pas fonctionné pour ma part.
Cela dit, grâce à un coup de pub incroyable de la part de ce cher Jésus (aller jusqu'à se faire crucifier, c'est quand même du jamais vu dans l'univers du marketing), Dieu était bien parti pour voir son oeuvre perdurer. La Bible, de même que la Torah, a alors traversé les siècles, à un point où, en Europe, ne pas en posséder une était une honte !!! On s'attendait à ce que le Créateur reste sur ce succès indiscutable, pour terminer son oeuvre immense sur l'opus qui aura convaincu toute la zone géographique concernée par celui-ci. Mais non.

Seulement 6 siècles après avoir bouclé son Ancien Testament, le Saint-Esprit est de retour, derrière le doux surnom d'Allah, cette fois-ci. Allah signifiant Dieu en arabe, on comprend que cette fois-ci le Tout Miséricordieux comme on l'appelle désormais, repart en Moyen-Orient, cette fois du côté des arabes, pour préparer une suite. La "suite de trop" diront les fans exigeants qui ne perdront pas une seconde pour aller combattre tous ceux qui seront trop convaincus par ce nouveau livre. Peu importe, Allah se fiche bien des rageux et s'atèle tout de suite à transmettre l'intégralité du nouveau texte à Mohammed, honnête homme plutôt pauvre et âgé d'une quarantaine d'années.
Alors que l'intéressé se promenait dans une grotte (ou caverne, je ne sais plus), voilà qu'il se fait interpeller par un ange, Gabriel (ou Djibril en arabe) qui commence à lui dicter les versets sacrés. Mohammed ne le sait pas encore, mais sa vie va s'en retrouver bouleversée. Il va mémoriser l'intégrité des chapitres (ou sourates, en arabe) et les dicter de sitôt à ses amis, qui vont au fur et à mesure reconstituer le puzzle que représente ce "Coran". Le Coran, Qur'an, qui signifie la Parole. La Parole Divine, La Parole de Dieu.

En effet, l'histoire veut que ce livre sacré ne soit écrit ni par un disciple, ni par Jésus, mais par Dieu Lui-Même !!! Du jamais vu dans le domaine, on est loin de la froideur et de la subjectivité humaine de la Bible. Dieu revient ici sur les sentiers arpentés avec la Torah, en insistant plus grandement sur ses forces et en atténuant ses inconvénients. C'est le retour tant espéré du mysticisme et du mystère, de la prose poétique qui avait fait fureur quelques millénaires plus tôt, et qui était partie pour connaître un second souffle de vie.
Globalement, la narration du livre est très décousue et découpée en chapitres qui peuvent aller de trois versets courts à cinquante pages bien remplies. Les histoires des 23 précédents prophètes, de Noé à Abraham en passant par David, et sans oublier bien sûr Jésus, sont souvent évoquées de manière évasive, et pas vraiment de manière explicative. Il est vrai que lire le Coran sans connaître déjà l'histoire des prophètes et de la religion peut-être assez périlleux, tant la narration est anarchique et unique dans son genre. Mais c'est là que se trouve tout le génie de l'oeuvre : sans dire ne serait-ce qu'une chose de fausse, sans faire jamais appel à quelque subjectivité humaine que ce soit, l'oeuvre part là où elle a envie de nous emmener, nous enivrant dans un enchaînement de mots et de sonorités tout juste agréable à l'oreille. Vous n'avez qu'à écouter des morceaux de Coran sur YouTube, même si vous ne comprendrez rien, cette manière de réciter les versets, oscillant entre chant et paroles, est tout simplement Belle, et d'un point de vue littéraire on est probablement face à l'un des plus grands chefs d'oeuvre jamais conçus.

Cela dit, du point de vue du sens, on est face à un chaos apparemment très bien calibré et parfaitement millimétré pour sembler pourvu de la signification exacte des choses, tout en étant sur la forme beaucoup trop complexe et confus pour être compréhensible, ou même intelligible, pour l'homme. Avec la volonté de produire cette fois-ci une oeuvre complètement intemporelle qui se pourrait être suivie tant par des gens de son époque que par les croyants des générations à venir, il a fallu aborder des sujets pertinents tant pour le 7ème siècle que pour le 14ème ou 17ème siècle, par exemple. La tâche n'était pas facile, et son exécution, hélas, peut laisser quelques doutes.
Si l'oeuvre s'en est parfaitement bien sortie durant les 5 ou 6 siècles qui ont suivi sa parution, donnant lieu à un âge d'or du monde arabe qui enchaîna alors une pléthore de découvertes scientifiques et géographiques plus incroyables les unes que les autres.... il serait un euphémisme de dire que l'évolution qu'ont pris les adeptes du Coran par la suite n'est pas forcément un exemple à suivre.
Si une partie des musulmans est restée dans le ton de l'oeuvre de base, à savoir rester dans le courant mystique de la pensée tout en y apportant le lot de réflexion nécessaire (la phrase "Ne réfléchissez-vous donc pas ?" revient à de très nombreuses reprises dans le Coran), beaucoup de musulmans ont tenté d'accorder à l'autoproclamée parole divine une exigence purement humaine. Des règles, pillées çà et là dans les paroles de certains prophètes, imams ou même de simples théoriciens de l'Islam, sont venus constituer une sorte de "règlement", comme si la croyance musulmane était vouée à se transformer en vrai code de conduite à ne jamais transgresser.
Ce genre de lois, proprement humaines, semblent un peu absurdes quand on parle du divin, de l'au-delà. Une quelconque forme de divinité ne s'abaisserait pas à créer un fossé entre les hommes de par leurs attributs génétiques, sexuels ou culturels. Une vraie croyance qui se dit universelle ne se permettrait pas de dire ce qu'il faut faire, quand et comment. Et c'est là que le Coran a été mal compris, mal interprété, transgressé en quelque sorte, jusqu'à ce que le mystère se transforme en haine, en ignorance et en bêtise.

L'oeuvre de Dieu a engendré bien des guerres de son temps, comme toutes les publications de son auteur. Son lectorat, attirant foule de gens ignorants et violents, ne se compose que d'une petite partie d'âme sensibles et raisonnables, sachant à la fois être touchées par la grâce verbale des mots qu'on leur envoie; et envahies par la sagesse et la paix que ces mêmes mots proclament.
Au fond, que ce soit Mohammed et ses disciples qui aient inventé le Coran, ou que ce soit Allah qui leur ait bel et bien transmis ces mots de sagesse, le résultat est le même. Ceux qui lisent le Coran en ayant déjà en tête des règles dictées par une élite musulmane qui cherche à gouverner une communauté en plein mal-être et donc vulnérable, n'y verront qu'obligations, discriminations, violence et haine. Ceux qui lisent le Coran en toute sérénité, l'âme dépouillée de tout fardeau et le coeur prêt à aimer, y verront une oeuvre envoûtante et complexe, dont les seules notions purement intelligibles sont le Bien et le Mal. Ce fondement un peu manichéen cache en réalité une réflexion complexe qu'il est à chacun d'entre nous d'accomplir à sa façon : où se trouve le Bien et où se trouve le Mal ?
L'Homme est un être à la pensée purement subjective, et si Dieu il y a, il jugera chacun de nous non pas selon la correspondance entre nos actes et l'idée de Bien et de Mal que se fait l'élite musulmane, mais selon notre propre volonté, selon si chacun de nos actes a été dirigé vers notre propre conception du Bien ou notre propre conception du Mal.