C'est le 8 juillet 1971 que le célèbre cinéaste Andreï Tarkovski se lance dans une quête impressionnante mais totalement folle : réaliser le pire film de tout l'Univers, et le faire passer auprès des aficionados du 7ème art comme étant le meilleur film de tout le monde entier !!! Le pari était risqué, d'autant plus qu'à l'époque il avait perdu 99,999% de son argent à cause de l'échec commercial en 1966 de Andreï Roublev, qui, avouons-le, était déjà un bel étron. Le russe n'est pas en reste, puisque pour esquiver la censure russe il va annoncer pour 1972 et 1974 non pas deux, mais cinq projets de longs-métrages !! Hélas, la censure aura réussi à venir à bout de L'idiot, de La montagne magique et de Hoffmanniana, puisqu'elle aura jugé (à raison) ces oeuvres de tellement horriblement emmerdantes qu'elles risquaient de mettre en péril le moral de la population locale, déjà très à bas après la chute du Stalinisme et la Guerre Froide qui jetait pour ainsi dire un climat de froid dans un pays où les températures sont déjà assez basses !
Cela dit, le cher Andreï ne perd pas le nord puisque deux films passeront malgré tout entre les mailles du filet : le sublime Solaris, sorti en 1972, et l'incroyable Le Miroir, sorti en 1974. Deux films que j'affectionne tout particulièrement, puisqu'ils ont achevé de tuer d'ennui le politique Valéry Giscard d'Estaing dont je n'appréciais point le programme très anachronique et chronocylique...
Ces deux films sont, à la grosse surprise générale, un énorme succès commercial puisque, en effet, coup de bol pour Tartoski, la censure russe a interdit absolument tous les films passant au cinéma de 1970 à 1976. Le public, alors surpris de voir surgir sur grand écran deux nouvelles oeuvres filmographiques, ont couru à en perdre haleine en direction des salles obscures ! Quant à l'accueil critique de ces films à l'époque, je ne saurais vous dire, puisque l'intégralité du public s'étant endormi devant les films (ainsi que la presse locale), personne n'a jamais pu en réaliser une critique exhaustive !! Heureusement, Tarkovski lui-même a été autorisé à donner son avis, qui est le suivant : "Ces deux oeuvres sont très importantes pour moi, car je les ai écrites avec le coeur et non avec le cul". Merci André Tartoski pour cet éclairage sur votre oeuvre immense.


Enfin bref, revenons-en à nos oignons : en 1975 André est fier de ses petites coquineries, il a réussi à attirer l'intégralité du public russe vers son oeuvre impressionnante, et est devenu multimilliardaire de façon instantanée mais non moins pertinente (et méritée, d'après le journal Libération). Mais le bougre étant un bourreau du travail irrassasiable, il se lance sans plus tarder dans un projet complètement fou : Stalker. Il va réunir pas moins de 5000 professeurs à travers le monde, de tous niveaux ou presque (école primaire à Bac+13), et dans les disciplines des mathématiques, de la littérature russe, de la philosophie et de la physique macro-moléculaire. Leur est alors confiée une mission d'envergure : ils ont 4 ans pour réaliser le film le plus nul à chier possible, mais de telle sorte qu'il ait l'air intelligent et brillant. Les professeurs sont emballés : c'est un peu leur travail, de donner l'impression d'enseigner des choses pertinentes et intelligentes alors qu'ils ne font que réciter des inepties inutiles et terriblement ennuyeuses !
Ces quatre années se seront d'ailleurs révélées fructueuses puisqu'au bout de trois semaines l'équipe de choc avait déjà accouché d'un scénario de 10 000 pages absolument imbuvable, illisible mais terriblement mystique et bouleversant ! Les 3 ans, 11 mois et 1 semaine restants seront utilisés à juste raison par nos amis pour flâner autour du monde dans le yacht privé de Tartouki, leur permettant ainsi de voir autre chose que leur Russie grise, triste et givrée (dans tous les sens du terme lol). Ils feront des rencontres impressionnantes, notamment de l'acteur Will Smith qui sera retenu au casting du film, mais ne pourra malheureusement pas participer à cause de sa malheureuse foulure de l'épaule gauche qui lui vaudra 14 mois d'hospitalisation. Tout ça à cause d'un Tartoski ingérable et mégalomaniaque qui exige strictement que tous ses acteurs se nourrissent exclusivement de tartes, et pratiquent au moins 2 heures de ski par semaine, pour rendre hommage à son nom. Ego démesuré, quand tu nous tiens...


Peu importe, Andreï a l'habitude de faire avec les moyens du bord, et ne prendra nul autre que son grand-père et son arrière grand-oncle pour assurer les rôles principaux (écrivain et scientifique). Quand au rôle du Stalker, il le donnera bien sûr au splendide Alexandre Kaïdanovski, que l'on connaît pour avoir joué dans les superbes Пятнадцатая весна, Свой среди чужих, чужой среди своих, ou encore dans le merveilleux Новые приключения янки при дворе короля Артура et l'incontournable Рассказ neizvestnogo cheloveka !
Le rôle de la femme sera donné à une femme prise au hasard dans la rue, quant aux figurants, ils seront modélisés grâce à un système de modélisation 3D que Tarkovki aura conçu lui-même dans sa jeunesse car c'est le plus grand génie du cinéma, ne l'oublions jamais.
Le tournage s'est déroulé en 3 heures, c'est-à-dire quasiment la durée du film, puisque pour réaliser une performance unique et à couper le souffle, André ne va réaliser aucun montage et ne garder qu'un plan-séquence de 2h50, performance technique tellement incroyable qu'elle va causer la crise cardiaque de Michael Jackson (qui n'aura découvert Stalker qu'en 2009, n'ayant pas eu le temps à cause de ses innombrables concerts à travers le globe...).
L'unique jour de tournage, les acteurs se sont restaurés au pittoresque mais très sympathique restaurant небольшая партия, dans un petit village à seulement 40 km de Saint-Petersbourg. Un établissement très chic, propre et clean, que je vous conseille grandement s'il vous arrive un jour de passer par là ! Les acteurs y ont d'ailleurs mangé de la bonne голубцы grillée au grill, avec sauce au sarrasin cuit et au citron. C'était un véritable régal, à leurs dires. Hélas, Andreï ne profita pas de ce festin puisqu'il était trop occupé à régler le focus de sa caméra, pour tourner la dernière scène post-générique du film. Ah, s'il avait su que cet effort supplémentaire était inutile, vu que la bonniche du Studio, Adeline Parpapoulski, fera tomber la scène post-générique dans la magnifique flaque d'eau que vous voyez à 33min34 du film, mettant ainsi en ruine le petit grain de sel qui allait faire déborder le gâteau qu'est ce sublime Stalker... Enfin André s'est consolé en mangeant une délicieuse okrochka, et on ne peut qu'en être soulagé pour lui.


Enfin bref, je tergiverse ! Quand je parle de Tartovsky, on ne peut décidément pas m'arrêter, moi ^^
Le scénario de 10 000 pages donc, ne sera pas respecté puisque les acteurs vont à 90% improviser leurs discours. En effet, le professeur de philosophie qui joue l'écrivain se contentera de mélanger ses connaissances littéraires et culturelles pour créer un discours compliqué et très édifiant; de même que le professeur de chimie bionucléaire qui joue le scientifique. Le Stalker est d'ailleurs un personnage dont le comportement trouble et négationniste est en grande partie insufflé par son acteur Alexandre Kaïdanovski dont j'ai parlé plus haut, dont je vous conseille de voir tous les films (sauf Слеза князя тьмы et Простая смерть, deux navets impardonnables !).
La couleur du film (gris) est très jolie.
La caméra utilisée lors du tournage a été détruite 1 seconde après l'arrêt du tournage, pour rester dans le secret et le mystère le plus complet. Telles furent les dernières volontés de Tarkouksi...
Les vêtements des personnages du film sont entièrement conçus en laine de brebis, tirés de l'élevage de brebis dont Andreï s'occupait entre deux films (eh oui, car n'ayant que rarement de montage à faire, la post-production s'avère souvent relativement rapide, et le géant russe appréciant le challenge, il ne peut pas rester les pouces croisés à attendre que tout se passe...).


Finalement, le 4 mai 1979, tout est dans la boîte. Le film est prêt à sortir. Appréhension de la part du réalisateur qui a peur qu'on se rende compte que son film est une purge insupportable. Sa femme le rassure, elle lui susurre sensuellement à l'oreille que c'est un somnifère efficace qu'il vient de tourner, 3 heures d'ennui tellement mortel qu'il vous ferait relativiser sur la situation des personnes agées casées en maison de retraite. Bien vu, lui répond Andreï, en fait j'suis peut-être un génie ouais. En plus je l'ai fait avec le coeur, dit-il. Fait avec le coeur....
Le film sortira finalement en salle en octobre 1979, après avoir passé 5 mois dans les bureaux de la censure russe. En effet, ces derniers essayant de visionner le film mais s'endormant toujours au bout de 15 minutes de celui-ci, personne ne put juger si le film transgressait le totalitarisme russe ou non. Finalement, l'autorité laissa passer le film au cinéma, jugeant que de toute façon même si ça dit du mal de l'Empire personne ne le verra puisque tout le monde dormira.
Ce n'est d'ailleurs pas loin de la réalité, puisqu'environ 99,999999999 % des spectateurs présents n'auront visionné pas plus de 10% du film en étant éveillé. Une performance jamais vue pour Tartoski, qui faillit même lui faire décrocher la légion d'honneur ! Hélas pour lui, depuis 1974, un scientifique au doux nom de Fredrich Tarpalotsky a inventé la caféine, et put regarder le film jusqu'à la fin !! Il se rendit compte de la honte que représentait Stalker envers le fun et la joie de vivre, mais décida de laisser l'oeuvre de Tartoski tranquille car, je cite, "Il doit avoir une vie de merde miskine pour filmer 3 vieux se trimballer dans la forêt pendant 3 heures".


Ainsi, il dit à la presse locale qu'il avait bien kiffé Stalker. Le mot passa dans la presse régionale, puis internationale, et il devint de convention d'aimer ce film et Tarkovski plus encore que vous aimez vos amis, votre famille ou votre amant(e). L'Occident entier était aux pieds d'Andreï, mais ils ne comprirent jamais trop pourquoi (et l'intéressé en question non plus, d'ailleurs). Tout ce que savait notre ami russe, c'est qu'il avait réussi le coup de poker du siècle, mais surtout qu'il avait fait tout ça avec le coeur.
Et ça, c'est le plus important...

SirilAnouna
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le 17 avr. 2016

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SirilAnouna

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