Il y a bien longtemps que la lecture d'un ouvrage de Donald Westlake me trottait dans la tête. Cornwellien convaincu, Ellisien invétéré et Lehaniste initié, je ne pouvais me priver plus longtemps de cet auteur. Et le voyage n'est pas décevant. Cela remontait à loin qu'une lecture m'eut tenu autant en haleine – là, je ne suis pas trop sûr de la formulation ni de l'emphase, même si c'est largement mérité. Un style coupant comme une lame des plus acérée, une vision introspective et une remarquable analyse de la chute vers la marginalité font de « Le couperet » une œuvre unique et militante.

On commence avec un personnage qui s'exprimera tout au long du roman à la première personne. Remarquable travail de feed-back qui va doucement nous dévoiler la personnalité complexe de Burke Devore. Au début, on pourrait penser que cet ex-cadre de l'industrie papetière, licencié deux ans plus tôt, s'est reconverti, par ennui ou passion, dans le crime en série classique.

Mais, peu à peu, l'homme se découvre et c'est une stratégie démoniaque qu'il développe afin de reconquérir un emploi. En fait, comme tant d'autres arrivent à le supplanter dans sa recherche d'emploi, il décide de les éliminer. Détruire la concurrence avant qu'elle ne vous nuise. Un chômeur qui tue d'autres chômeurs, belle allégorie de la sélection naturelle telle que l'entendent tous les déviants libéraux.

Certes, comme le reconnait le héros, ses vrais ennemis sont les patrons et les actionnaires. Mais il pourrait en tuer un, dix ou mille que cela ne changerait rien à sa situation tant la bête est une créature mutante qui s'auto-régénère. Non, Burke préfère tuer des cibles à sa portée, mais ne sont elles pas toutes les images que lui renvoi sa propre descente ?

« Le couperet » dénonce ce système libéral qui, au nom du sacro-saint profit pour les actionnaires, n'hésite pas à sacrifié les vies de ses – souvent fidèles – serviteurs. Costa-Gavras ne s'est point trompé sur la puissance qui se cache entre ces lignes et en a fait un film éponyme avec José Garcia dans le rôle dramatique, mais tellement humain, de Burke.

Ainsi c'est la logique libérale poussée dans ses derniers retranchements qu'on retrouve au fil de ce roman. C'est le drame de la chute, de la perte du rôle sociétal de l'homme dessaisi de sa force de travail par des actionnaires qui ignorent jusqu'à son existence. C'est une fiction poignante qui nous éclaire sur la dévotion libérale qu'on attend de chacun dans une société où l'un est l'ennemi de tous. Absolument indispensable pour ne pas perdre son humanité dans le monde – périlleux – du travail.
Bobkill
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le 3 janv. 2011

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