Plus de 10 ans après The Price of Salt, Patricia Highsmith creuse le sillon de The Blunderer avec cette histoire d'un type poursuivi par la malchance. En fait, il est affecté d'un défaut de caractère qui le pousse à subir passivement ce qui lui arrive, et finit donc par provoquer des catastrophes, simplement parce qu'il n'a pas eu la force de s'y opposer. Tout lui tombe dessus, fatalité et emmerdes, et, comme le gaffeur de The Blunderer, il voit s'accumuler les obstacles sans pouvoir se résoudre à lever le petit doigt. C'est un peu le profil de beaucoup de héros de Patricia Highsmith, à vrai dire. Le meurtre n'est généralement qu'un épiphénomène, éminemment banal, qui frappe les êtres ballotés par leur destin. Ici, c'est la poisse qui s'attache aux pas de Robert Forester, type banal qui sort d'un divorce et tombe par hasard sur la maison isolée d'une jeune fille qu'il aime épier depuis l'obscurité. Finalement, pas si banal que ça, hein, le type, et c'est ce que va se dire l'Amérique bienpensante des années 60 quand les circonstances feront peser sur lui un soupçon de meurtre. En réalité, la mort rôde en permanence, mais il est assez peu question d'assassinat. C'est plutôt une certaine forme de soumission à la malveillance de pauvres esprits dérangés, dans lesquels Highsmith excelle à plonger, qui provoque le drame. On finit par mourir, effectivement, dans cette histoire un peu tordue qui prend le temps de s'installer. Un peu trop de temps à mon goût, mais ça finit par aller quelque part, jusqu'à un dénouement un peu tarabiscoté, trop démonstratif en même temps que trop allusif (bizarre mélange, hein?) qu'il m'a fallu relire au moins cinq fois pour tenter d'en démêler les implications. Je soupçonne une imprécision de la traduction, parce qu'un élément fondamental reste dans le flou. A vrai dire, la traduction est ici un sujet car, à maintes reprises, elle attire l'attention par ses calques maladroits avec l'anglais. C'était peut-être la mode à l'époque, où les écoles de traduction n'existaient pas encore, mais ça gêne un peu la lecture aujourd'hui. En résumé, l'un dans l'autre, une drôle d'histoire, celle d'un homme que le déchaînement d'événements adverses va finalement pousser à récupérer un peu d'estime de soi, limitée à une seule initiative salutaire, dans l'urgence, parce que sinon, c'est la mort assurée. Il faut parfois cela pour qu'une décision se prenne enfin, mais bon, ça fait quand même difficilement un polar trépidant. Mettons que ce soit une intrigue psychologique, plutôt.