Retors Tours
La première scène de la nouvelle présente le vicaire Birotteau avec ses pantoufles : en effet, il est sans doute le plus pantouflard des personnages de Balzac. Autant dire que lorsque la mort de...
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le 10 nov. 2020
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La première scène de la nouvelle présente le vicaire Birotteau avec ses pantoufles : en effet, il est sans doute le plus pantouflard des personnages de Balzac. Autant dire que lorsque la mort de son ami l’abbé Chapeloud libère une chambre chez Mlle Gamard, une chambre fort confortable, une chambre depuis longtemps rêvée, une chambre dont les dimensions coïncident parfaitement avec celles de sa bibliothèque chérie, notre vicaire saute sur l’occasion. D’où le drame en charentaises, à Tours.
Car Birotteau, en plus de ne pas savoir lire la province où il vit, est un doux, un naïf, un « trop bon, trop con » : autrement dit, il se laissera marcher sur les pieds plusieurs fois avant d’avoir mal. Et la Gamard est une célibataire : autrement dit, « une personne perpétuellement en guerre avec elle, ou en contradiction avec la vie » (p. 208).
C’est bien sûr l’auteur qui parle. Que Balzac lui-même ne se soit marié que cinq mois avant sa mort présente évidemment quelques paradoxes… Que le célibat des trois membres du clergé qui interviennent dans le Curé de Tours ne soit jamais ouvertement évoqué est également paradoxal. Que les vieilles filles concentrent l’essentiel des attaques (« en restant fille, une créature du sexe féminin n’est plus qu’un non-sens : égoïste et froide, elle fait horreur », p. 207) mériterait encore commentaire…
Le Curé de Tours est plus bref que Pierrette, qui ouvrait les Célibataires. C’est aussi un texte plus théorique, me semble-t-il, dans le sens où Balzac y défend de façon plus appuyée l’idée qu’il se fait de « ces insectes curieux et rares » que sont les vieilles filles et les vieux garçons. Comme dans le premier récit, les célibataires reportent sur un autre objet l’amour qu’ils ne peuvent porter ni à un mari, ni à des enfants (1).
Pour les Rogron (Pierrette), c’était sur le commerce et l’ameublement (2). Chez Mlle Gamard, « faute d’exercer, selon les vœux de la nature, l’activité donnée à la femme, et par la nécessité où elle était de la dépenser, cette vieille fille l’avait transportée dans les intrigues mesquines, les caquetages de province et les combinaisons égoïstes dont finissent par s’occuper exclusivement toutes les vieilles filles » (p. 209).
Balzac se veut expérimentateur : rien ne semble mieux illustrer ce trait de la Comédie humaine que la comparaison de Pierrette et du Curé de Tours. On y retrouve deux bons célibataires : au personnage de l’enfant maltraitée répond celui du curé – et « l’abbé Birotteau pouvait être considéré comme un grand enfant, à qui la majeure partie des pratiques sociales était complètement étrangère » (p. 192). Le décor – Provins, Tours – reste globalement le même : c’est la province ennuyeuse et mesquine, où tout se fait dans l’ombre, et à cet égard la conversation décryptée (3) qui annonce la fin de la nouvelle mérite sans doute une petite place au panthéon des scènes les plus fortes des Études de mœurs.
Mais la véritable variable de l’expérience dans le Curé de Tours tient aux motivations de Mlle Gamard : la logeuse agit par orgueil, là où la déception des Rogron de ne pas s’élever socialement les plongeait dans un cercle vicieux de frustration et de maltraitance. Il me semble que cela rend les personnages principaux du Curé de Tours plus ambigus, donc plus riches, car à la fois victimes et bourreaux à la fois des autres et d’eux-mêmes.
De toute cette noirceur, la vie sociale n’offre que la partie émergée, tandis que le romancier regarde sous l’eau : « – Mais, mon mobilier ? / – Vous n’avez donc pas lu votre acte ?” dit la vieille fille d’un ton qu’il faudrait pouvoir écrire musicalement pour faire comprendre combien la haine sut mettre de nuances dans l’accentuation de chaque mot » (p. 222).
(1) L’idée se retrouvera dans les Mémoires de deux jeune mariées : « Une femme qui n’est pas mère est un être incomplet et manqué ». Dans Pierrette : « Par suite de leur isolement, et poussés par cette nécessité morale de s’intéresser à quelque chose, les célibataires sont conduits à remplacer les affections naturelles par des affections factices, à aimer des chiens, des chats, des serins, leur servante ou leur directeur » (p. 78-79). Freud parlerait de sublimation qu’il ne dirait pas mieux…
(2) On notera que Birotteau, lui aussi, est pris d’une « concupiscence mobilière […] semblable à […] une passion vraie, qui, chez un jeune homme, commence quelquefois par une froide admiration pour la femme que plus tard il aimera toujours » (p. 184).
(3) « Quelques dessinateurs se sont amusés à représenter en caricature le contraste fréquent qui existe entre ce que l’on dit et ce que l’on pense. Ici, pour bien saisir l’intérêt du duel de paroles qui eut lieu entre le prêtre et la grande dame, il est nécessaire de dévoiler les pensées qu’ils cachèrent mutuellement sous des phrases en apparence insignifiantes » (p. 237). Suivent trois inénarrables pages de dialogues qu’on pourrait dire sous-titrés.
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le 10 nov. 2020
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