Critique de Shaynning
Second opus de la série qui a gagné le Prix des Libraires du Québec dans la catégorie BD étrangère, "L'ombre de l'oiseau" est plus sombre et profond, mais prend place dans un monde plus élaboré,...
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le 23 oct. 2022
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Incontournable Avril 2022
Il ne s'agit pas ici d'un nouveau roman, mais d'une réédition d'un roman paru en 1986, "Le Cygne". C'est en outre une des premières publications sous forme romanesque pour la maison d'édition québecoise D'eux, qui semble avoir décidé de remettre sur les rayons de librairies jeunesse cette nouvelle d'un auteur incontournable de la littérature jeunesse anglaise qu'est Roald Dahl.
Ernie reçoit pour ses quinze ans une carabine 22 Long Rifle avec la consigne d'aller la tester sur les lapins et oiseaux du coin par son père. Mais avec son copain Raymond, une canaille du même acabit, ce n'est pas à un simple carnage qu'il va s'adonner. Sur leur route, ils trouvent Peter Watson, un frêle adolescent de treize ans passionnée de nature et premier de sa classe. Pour ce garçon qui aime les oiseaux, c'est le début d'un calvaire qui ne fait pourtant pas plier sa force morale.
Je dois admettre qu'au delà du choc que provoque cette lecture qui met en scène une violence d'une cruauté rarement aussi limpide dans la littérature jeunesse, je me suis questionné sur son sens profond. Heureusement, un lecteur qui a de bons mots m'aura inspiré.
Il est probable que votre code moral vous fera condamner ces deux jeunes brutes assez rapidement. Moi même je dois dire que ne pouvais qu'espérer une punition exemplaire pour ces adolescents capables d'une telle inhumanité. Et pourtant, ce serait trop simple. Après tout, dans une certaine mesure, nous ne sommes pas que tempérament et personnalité, nous sommes aussi un "produit". Que ce soit au gré de notre éducation, des codes sociaux établit par la société dans laquelle nous évoluons, les valeurs multiples qui se véhiculent dans l'une comme dans les autres, nous sommes aussi conditionnés d'un point de vue comportemental. Ainsi, ces deux personnages odieux sont donc, dans une certaine mesure, le navrant résultat de ces quelques éléments.
D'abord, on le voit au début de la nouvelle, Ernie se fait offrir une carabine par son père. En quelques phrases à peine, Dahl nous esquisse un camionneur pas très éduqué, qui semble adepte de la punition physique, qui a peu de considération pour l'avis de sa femme et qui met la violence au compte des acquis à avoir en tant qu'homme. Un charmant personnage, en somme [ Notez le sarcasme]. Que penser alors du volet éducation de ce jeune? Que pensez de l'affection et de la considération qu'il reçoit? Comment un enfant peut-il avoir de la considération pour autrui, pour les Lois et le Vivre Ensemble si à la base son propre milieu familial n'y attache pas d'importance? Peut-on s'étonner d'un jeune qui va aller tirer sur des animaux si c'est là la consigne même du parent?
Bon, évidemment, vous diriez-vous, ça n'explique pas tout. Mais les "bullies", parce que c'est exactement ce qu'ils sont, des intimidateurs, sont souvent des enfants mal aimés et mal encadrés. Et ce sera pire si la société ne condamne pas ce genre d'éducation. Mais une autre inspiration me vient en ce que nous appelons actuellement "la masculinité toxique", soit le construit social désuet qui repose sur le principe que l'Homme a besoin d'affirmer plusieurs aspect de sa personnalité, comme la virilité, le dominance et l'oblitération de ses émotions ( sauf la colère) pour mériter le qualificatif de "Vrai Homme". Un concept erroné et très dommageable à tout point de vue. Ça vous parle? Moi ce que je vois, ce sont deux infâmes produits fini impeccablement vernis de masculinité toxique. Cette propension à employer la violence physique et les insultes, cette façon de martyriser plus faible que soit, cette condescendance malsaine, ce sentiment de toute puissance qui vient avec le port d'armes... Sérieusement, on se croirait dans les états sudistes américains!
Par ailleurs, il y a plusieurs contrastes à observer dans ce roman. D'abord l'opposition de la violence la plus brute avec une nature magnifique. Ensuite, la bêtise confrontée à l'intelligence ( ou même le "bestial" contre la "Raison") qui semble éternellement rivale dans l'humanité. On le retrouve plusieurs fois dans le roman cette idée que les deux délinquants ne peuvent pas souffrir l'intellectualité du personnage. Enfin, la force de caractère contre l'oppression. Cette dernière se voit vers la fin, quand devant autant de violence gratuite et de manque total de respect pour le Vivant, le jeune garçon s'enflamme et les invective. C'est également le symbole de son "envol", où dans sa grandeur d'âme, il devient l'espace d,un moment, plus qu'un humain: un homme-oiseau. Ça m'a fait penser à tous ces gens travers les époques, qui sont restés "droits et d'une force morale invincible"(P.63) devant la dictature, la violence, la haine et l'intolérance. Quand on dit que la laideur côtoie de près la beauté, on en a un bel exemple ici.
Au final, ce qui arrive à Peter tiens peut-être de la magie, mais auquel cas ce serait sans doute sa droiture et sa capacité à refuser d'adhérer à cette violence qu'elle opère. Taxez moi de quétaine si vous voulez, mais je lui ai trouvé un air angélique à ce moment là. Et puis, il a fini par leur échapper à ces voyous.
En outre, on ne peut pas passer à côté du sujet de la violence à l'endroit des animaux. Beaucoup d'homme, une fois armés, ont perdu de vue leur place au sein de la Nature et se sont placés au dessus de toutes les espèces en gros moron Alpha suprêmement orgueilleux. On peut penser à ces petits garçon qui faisaient exploser des grenouilles avec des cigarettes, à ceux qui attachaient des canettes aux queues des chiens et à ceux qui fusillaient pour le simple plaisir de le faire. C'est ce qui fait l'une des plus grandes laideurs de l'humanité, celle de prendre plaisir à faire souffrir.
Les illustrations sont magnifiques et saisissantes. Ce sont des aquarelles dont on peut percevoir et même voir le coup de crayon au plomb des contours. Certaines sont choquantes, pour rejoindre le texte qui l'est tout au temps. Le choix de police est intéressant, il rappelle celle des dactylographes. Un bon choix considérant l'époque où se déroule l'histoire. Même le grain de la couverture rugueux rappelle un carnet plus qu'un livre. La tranche est jaune citron, qui ,avec la couverture noir et blanche, constituent le trio de couleurs phares de la maison D'eux.
"Un outil d'éveil de conscience", voilà le genre de livre qu'on a ici. Si la violence dépeinte ici semble appartenir à une autre époque, il n'en est rien. Elle a changé de forme , certes, vous ne verrai plus de mineurs de moins de 18 ans armés déambuler dans les campagnes anglaises( Du moins, j'ose croire). Mais dans certains états américains, oui: les armes sont plus faciles à obtenir pour les mineurs que de banals cocos de chocolat Kinder ( illégaux aux USA). Par contre, des enfants et adolescents qui traduisent leur carence affective et leur manque d'éducation par la violence, il y en aura toujours. Des intimidateurs aussi. C'est pourquoi j'estime que ce genre de roman peut-être un bon moyen de traiter de l'enjeu auprès des jeunes. Comment percevront-ils cette escalade de violence? Comment imaginer que certains jeunes arrivent à de tels comportements déviants et si peu de moralité? Pourquoi les intellectuels font-ils des cibles récurrentes? Quelle considération pour la nature? Est-ce possible de survivre aux meurtrissures sans abandonner ses valeurs les plus importantes pour soi? Il faut une grande force intérieur pour ne pas plier devant la facilité et la fatalité, mais qu'est-ce que ça implique, au fond? C'est le genre de roman qui peut donner lieu à des débats et des discutions, assurément.
Je salue l'audace de l'auteur d'articuler une œuvre aussi incisive pour la jeunesse, sans censure, sans gants blancs. Je salue aussi l'illustrateur, monsieur Jean Claverie, pour son travail aussi beau que touchant.
Pour un lectorat du premier cycle secondaire, 13 ans+
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Créée
le 10 oct. 2023
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