Avide lecteur, j'ai très longtemps consommé ma littérature d'une manière instinctive : j'aimais ou je n'aimais pas, sans réellement me poser des questions sur les raisons de cet amour ou désamour. Tout cela était assez arbitraire, tout comme la note que je pouvais mettre ensuite sur Senscritique. Mon appréciation de l’œuvre littéraire, toute comme les œuvres audio-visuelles, n'était qu’intuitive. Récemment, j'ai souhaité changer cela en ayant une approche critique, pour mieux saisir les véritables raisons pour lesquelles j'aime une œuvre ou non.
Le Déchronologue, écrit par Stéphane Beauverger et publié par La Volte en 2009, maison d'édition responsable de la publication du génial Alain Damasio entre autres, mais aussi les premiers récits de Beauverger, en particulier la trilogie des Chromozones. Pour le Déchronologue, l'auteur a remporté le grand prix2010 de l'imaginaire, prix français qui récompense les meilleures œuvres de science-fiction et fantasy. Parmi les lauréats, nous pouvons relever Damasio, bien entendu, mais aussi Pierre Bordage ou bien Orson Scott Card.
Le résumé, le voici : Henri Villon, capitaine flibustier française et navigateur des eaux d'une Amérique Centrale encore inexplorée. En effet, le récit se déroule au milieu du XVIIè siècle, alors que l'Europe est en pleine expansion et colonise le Nouveau Monde. Les mers des Caraïbes sont pleines de navires amis et ennemis. À ces récits d’aventure s’ajoute un des éléments centraux de la science-fiction : le voyage dans le temps. Car en effet, le monde d’Henri Villon est consumé par des perturbations temporelles. Ainsi, ses ennemis sont autant passés, que présents et futurs.
Le format est relativement simple aux premiers abords : construits comme un journal de bord écrit à la première personne par le capitaine Villon, les chapitres sont dans un ordre peu habituel. Cet effet narratif peut paraître pompeux et laborieux mais il révèle sa pertinence au fur et à mesure du récit. L’auteur a la volonté de perdre son lecteur dans les retournements temporels, comme le capitaine Villon, et de disperser les indices du roman comme il l’entend, et il ne l’entend pas de manière linéaire.
Beauverger nous plonge dans la piraterie du milieu du XVIIè avec aisance et le langage de l’époque est parfaitement retranscrit (je suppose), et donc agréablement désuet. Plus un récit d’aventure qu’un véritable ouvrage de science-fiction, la compréhension des événements temporels n’est que partielle, comme elle pourrait l’être pour un être vivant il y a 400 ans, et c’en est d’autant plus agréable à lire.
J’ai suivi avec un attachement les équipées du capitaine Villon, alcoolique et déprimé, dans un monde qu’il ne comprend plus. Le ressort temporel est parfaitement ficelé, et bien qu’il faille tenir tout le temps le compte des sauts temporels dans les chapitres, le récit se lit aisément et je n’avais pas envie qu’il finisse. J’ai été ému des divers rebondissements et je ressors un peu changé de cette expérience de lecture, changé pour mes lectures et mon horizon d’attente qui se révèle agrandi grâce à cette œuvre temporelle significative.