Le Déchronologue par Nanash
Le mélange des époques, le mélange des temps, les objets et évènements anachroniques, voila matière à bon nombre de romans, séries et films. Mais dans quel univers faire intervenir tout cet attirail ? L'espace ou notre siècle ? déjà fait et refait. Alors pourquoi pas l'époque des pirates ? Les caraîbes du XVIIème, quelle excellente idée.
Boîtes de conserve, baladeur à cassette, batteries électriques et autres armes de poings font irruption au milieu des histoires de pirates et de corsaires, au milieu de la machine de guerre de l'empire espagnol, au milieu de la vie du péquin moyen. Et si finalement ces "maravillas" n'étaient pas les vraies merveilles de ce monde ? Et si c'était un homme ?
Le vrai anachronisme, le plus étincelant, de ce roman c'est bien le héros, Henri Villon, libre capitaine Rochelais parti tourner la page d'un passé douloureux dans les mers chaudes du nouveau monde et noyer sa culpabilité dans le tafia. Villon n'est pas d'un autre temps, il est de tous les temps. Cruel comme il se doit, soudard invétéré et fier de l'être, meneur d'homme et navigateur hors pair, il sait aussi se montrer de la plus grande humanité et du plus grand dévouement. Notre capitaine va être le pantin, le "deus ex machina" de forces du futur qui le dépassent. Car les maravillas ne débarquent pas par hasard, le temps se déforme à la Havanne, les époques se chevauchent à Haïti, se distordent à Tortuga et laissent entrer navires et quincaillerie qui mettent en émoi la flibuste locale. Mandaté par ces étranges êtres dans leur machine volante, Henri Villon sa tenter de mettre un terme à cela grâce aux batteries temporelles de son fier Déchronologue.
Stéphane Beauverger nous offre un roman complexe par sa construction et sa multitude de personnages secondaires. Les chapitres ne sont pas rendus dans l'ordre chronologique, il est donc quelques fois compliqué de s'y retrouver, mais finalement cela n'a que peu d'importance, car c'est l'aventure humaine d'Henri Villon qui est en jeu en ces temps troublés. Qu'ils soient ennemis, amis, membres de l'équipage ou autochtones, le roman fourmille de dizaines de personnages qu'il est difficile de tous parfaitement cerner mais qui tous ont un rôle à jouer pendant les quelques douze ans de l'aventure.
La langue est d'une importance cruciale, le langage fleuri des gens de mer et de tous les personnages donne un parfum d'aventure au roman, c'est une voix éraillée par l'alcool que j'entendais en lisant les invectives de notre bon capitaine aux spaniards et autres vendeurs de maravillas. En passant de Féfé de Dieppe au commodore Mendoza en passant de Sévère au maître d'équipage Hollandais, tous ont une épaisseur donnée par leur façon de s'exprimer qui les ancre dans le récit.
L'auteur pousse même le vice jusqu'à ajouter un personnage féminin au récit. Ce qui dans d'autres productions relèverait de la vilaine supercherie, fonctionne parfaitement. Sévère, puisqu'il fallait bien lui donner un nom sur le bateau, en plus d'incarner un accomplissement impossible pour le héros, s'intègre au récit de façon remarquable et nous permet de voir plus de la complexe personnalité d'Henri Villon.
Sans trop en dire, alors que le roman se veut "d'aventure" pendant sa totalité, le dénouement est étonnamment poignant. J'avoue avoir eu un pincement au coeur à l'idée qu'après les 500 et quelques pages passées aux côtés du capitaine Henri Villon je n'entendrai plus le craquement des haubans, le brouhaha des beuveries d'une taverne ou le canon qui tonne au moment de l'abordage. Comme si d'extraordinaires vacances venaient de se terminer.
Pour apprécier ce roman comme je l'ai apprécié, il faut surement avoir été un petit garçon qui a lu "l'Ile au trésor" et il faut surement avoir eu sa période "pirates" en plus des dinosaures. Je ne dois pas être le seul à valider ces critères ?
Pour moi, un grand livre: 10/10.
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