Incontournable Novembre 2023


Après avoir fait la connaissance des petits romans de la maison indépendante Voce Verso, me voici en tête-à-tête avec l'un des deux romans graphiques de format hybride parus en septembre et arrivé en sol québécois en novembre, "Le Défilé", écrit par un auteur camerounais.


Je ne sais pas très bien dans quel pays nous sommes, puisque le seul drapeau qu'on y voit pourrait être celui du Sénégal, même si en raison des couleurs oranges et gris ce ne sont pas les bonnes couleurs, et que dans l'histoire, nous avons le passage: "Ils avaient été des "tirailleurs sénégalais" même si nous ne sommes pas sénégalais". Donc, on est quelque part en Afrique, probablement pas loin du Sénégal ou dedans, mais avec une famille d'origine d'un autre pays africain.


Le livre s'ouvre sur un décor de ville animée, où les motifs des vêtements sont riches, les fruits tropicaux et les rues grouillantes de vie. Dans ce décor, on y voit aussi un homme vendre sur son étale des jouets en forme de char d'assaut et des armes à feu en bois, pour les enfants. Cette effervescence est due à la fête de la jeunesse dont notre jeune narrateur prend part ce jour-là. Il a revêtu ses beaux habits, ciré ses chaussures et fait un petit défilé devant son grand-grand-père, avant de faire le défilé. C'est ainsi chaque année. Ce qui va diverger cette année-là est que ce même grand-grand-père va aussi prendre part à un défilé, et pas le moindre. Désormais doyen des vétérans, le grand-grand-père a donc l'honneur de défilé en tête de cortège. Cinquante ans ont passé depuis que l'homme a participé à la seconde guerre mondiale en tant que "tirailleurs sénégalais". Dans son coffre en fer, il y a son uniforme, ses médailles et surtout, des souvenirs. À une époque, lui et ses compatriotes ont certes œuvrer à combattre le mal, le pays aussi a participé à l'effort de guerre.
Pour le jeune narrateur, cet hommage à la paix change son regard sur la guerre.


Bon, déjà, je suis ravie de voir un livre sur la seconde guerre mondiale qui traite de la perceptive africaine. L'arrière-grand-père du narrateur a servi dans les forces de la 2e division blindée formée par le général Leclerc au Maroc, contribuant à la libération de Paris ( entre autre chose). On oublie beaucoup trop de parler de la contribution du continent africain dans les deux conflits mondiaux.


Ici, on n'est pas dans les évènements à proprement parlé, mais dans le devoir de mémoire auprès des vétérans, des soldats morts au combat et des efforts de guerre des nations. En somme, nous sommes dans la commémoration des conflits mondiaux. Voilà un axe rare en littérature jeunesse. Dans le roman, nous avons dans les scènes graphiques divers aspects de ces souvenirs, notamment cette séquence avec des soldats en pleine action, suivie directement d'envolée de corbeaux, probablement en train de se nourrir de ces même soldats ( mais on ne voit que les oiseaux). Les pages 44-45 montre le haut du visage du grand-père, les yeux fermé, entouré de plis et de rides soucieuses et tristes. Probable que le vieil homme se souvient.


L'aspect entre les générations est très intéressant, entre le jeune homme faisant la guerre pour la paix, tandis que son arrière-petit-fils est enfant de paix jouant à la guerre. Le narrateur s'était même acheté des jouets sous forme de grenade, char et fusils pour y jouer, sous le regard déçu et peiné de son aïeul. Maintenant qu'il voit le défilé, la signification qu'il revêt, le jeune narrateur comprend mieux. Dans l'Histoire de son pays, il y a des hommes qui ont perdu la vie pour combattre le mal, pour ramener la paix. En clair, son grand-grand-père est un héro, loin du vieil homme tranquille et oisif qu'il a toujours connu, tant et si bien qu'il s'est défait de son char, sa grenade et son fusil, a écouté les histoires de son aïeul et ensemble, "ont joué fièrement à la paix le reste du soir".


J'aime bien cette histoire courte, mais néanmoins porteuse, qui inscrit une réalité historique dans un présent de paix d'un enfant, surtout un enfant qui ne semble pas comprendre la porté d'une véritable guerre. J'avais déjà lu quelque part que les humains ayant connu la guerre connaissent la valeur véritable de la paix, alors qu'au contraire, il peu y avoir une tendance aux humains n'ayant connu que la paix de minimiser les impacts d'une guerre. C'est pourquoi le devoir de mémoire est si important, d'ailleurs.


En outre, si la guerre est odieuse et que personne ne mérite de la vivre, reste que paradoxalement, les gens qui ont le courage d'y prendre part pour l'enrayer mérite, eux, le respect et la gratitude. Il y a eu des millions de gens qui sont morts d'avoir combattu un groupe aussi bien terroriste que radical, qui avait des vues sur le monde. Des soldats, mais aussi des civils, en témoignent leur effort et leurs contributions.


Côté graphique, nous avons une palette en clair-obscure au plomb dont la seule couleur admise est un jaune orangé. Les mains des personnages sont souvent grandes, les vêtements rempli de motifs et il y a un travail de hachures dans les textures. Le graphique occupe parfois de pleines pages, voit plusieurs de suite et sert parfois la narration elle-même. Autrement dit, le texte ne dit pas tout, ce sont les illustrations qui "parlent".


Côté texte, ça se lit très bien, c'est sobre sans perdre de profondeur. Je pense que ça permettra aux lectorat du 2e cycle primaire, les 8-9 ans, de pouvoir le lire sans problèmes. J'ai souvent des jeunes lecteurs de ce groupe d'âge qui s'intéresse aux conflits mondiaux, alors en voilà un qui devrait le servir. Certes, on ne parle pas du conflit lui-même, mais de sa portée dans le temps et de la considération que nous avons envers les acteurs qui y ont prit part à l'époque. Aussi, le fait d'avoir un bon support graphique me semble un beau complément pour ce lectorat. Reste que le cursus scolaire aborde les conflits mondiaux davantage au 3e cycle primaire, d'ordinaire.


Un hybride roman-album fort pertinent, rare fenêtre sur l'Afrique pour la littérature jeunesse, qui met en lumière une relation entre un arrière-grand-papa et son arrière-petit-fils, dont les bénéfices de la vente du livre seront reversés à l'ONG "Bibliothèques Sans Frontières", qui "facilite l'accès des populations vulnérables à l'éducation, à la culture et à l'information, dans plus de 30 pays" ( Tel qu'écrit sur la 4e de couverture).


Pour un lectorat intermédiaire, à partir du 2e cycle primaire, 8-9 ans+

Shaynning

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