François Besson, 27 ans, a priori un homme comme les autres sauf qu'il a lâché prise sur sa vie. D'abord à son travail, comme ses élèves n'étaient pas intéressés par ses cours, il a tout bonnement cessé de leur faire la classe, jusqu'à ce que, pris sur le fait, il soit renvoyé. Il a ensuite laissé péricliter sa relation amoureuse, pourtant fiancé à une femme agréable. Il se retrouve donc chez ses parent, oisif, ne faisant rien pour changer la situation. Un jour de janvier qu'il se promène plongé dans ses pensées, une sirène retentit et il croise une jeune fille en vélomoteur, celle-ci disparaît de sa vue au moment où le bruit cesse. Le roman commence à cet instant, et le déclin mental du narrateur prend son véritable départ. Depuis cette vision, Besson est obsédé par la mort, il ne peut croiser de gens dans la rue sans les voir dans la tombe. La monde a perdu sa saveur, il ne comprend pas comment les gens peuvent continuer à travailler, à enfanter, à aller au cinéma dans ces conditions. Il écoute la cassette que lui a enregistrée une amie en réponse à une lettre qu'il lui a écrite, Anna, lui annonce qu'elle va se suicider suite à une peine de cœur. Notre héros n'en semble pas trop ému, ses émotions sont complètement modifiées par sa nouvelle vision de la vie, il va se fasciner pour certains détails ou personnages et restera complètement insensible quand il s'agit de ses proches. Il commence à réapprendre la vie et doit faire un véritable travail d'introspection pour réapprendre à l'apprivoiser, il se comporte comme un enfant, s'ouvre à toutes les nouvelles expérience, puis effrayé revient à son état de vacuité primitif. Une chose est sûre, les eaux grondent, un déluge se prépare.
J'avais jusque là évité la lecture de cet auteur, qu'on m'avait pourtant recommandée en classe préparatoire, trouvant un je-ne-sais-quoi de clérical et d'austère dans son nom, je ne sais pas quel raccourci j'ai pu faire...Ce livre m'a beaucoup touché, c'est la première fois que je me dis "j'aurais pu écrire cela", j'ai eu une expérience semblable à celle du personnage principal à la fin de mon adolescence, après une vision anodine j'ai été quelques temps obsédée par la mort, vide de sentiments. Une sorte d'apathie, qui a pour caractéristique, paradoxalement, de s'émouvoir et de s'accrocher à des petits détails, le bleu électrique d'un couloir, la façon dont on monte les escaliers, l'odeur de l'herbe. Certains appèleront ça tout simplement une dépression nerveuse, mais je ne suis pas psychanalyste, et je pense qu'il s'agit plutôt d'une prise de conscience philosophique, difficile mais nécessaire. Besson prend conscience de l'altérité, une notion compliquée elle aussi, qu'est ce que l'autre, ressent-il les mêmes souffrances, les mêmes angoisses? Comment peut-on être uniques quand il existe tant d'autres hommes comme nous? Les questions qui taraudent Besson, et on s'en doute, Le Clézio à travers lui, sont d'autant plus pertinentes dans le climat pendant lequel à été écrit le roman. En effet, les années 60 avec la bombe atomique, les menaces de guerres, ont rendu les populations paranoïaques et ont mis une épée de Damoclès sur leur têtes. Ceci tout en développant des comportements de plus en plus individualistes, on a donc des personnes qui ont peur et qui sont seules. Le Clézio a brillamment développé des problématiques existentialistes, avec ce qu'il faut de tragédie dans tomber dans le glauque ou le sentimentalisme. Une fois de plus, la symbolique de l'eau, métaphore baroque chérie par les auteurs tristes, est présente au fil de l'œuvre. Elle représente le temps qui passe, et par extension la mort, Besson serait rassuré que l'homme puisse mourir dans un désert, asséché, loin de toute goutte d'eau, il dit que si toutes les larmes tombaient d'un coup, elles recouvriraient la terre d'eau comme au temps du déluge. Le Clézio bien qu'il n'ait plus à prouver ses dons littéraires, doit également avoir de bonnes capacités mathématiques et physiques, ses descriptions sont emplies d'adjectifs tirés de ces domaines. D'ailleurs c'est ce qui m'a rendu la lecture du livre très pénible, malgré les affinités avec le narrateur, les descriptions interminables qui constituent 70% des pages sont vraiment indigestes et m'ont obligée à fragmenter ma lecture. Je déconseille toutefois Le déluge aux âmes déjà tristes.