Employé rêveur et timide d’une société d’import-export à Tokyo depuis quelques années, Minoura tombe amoureux d’une jeune femme, Hatsuyo Kizaki, qui vient d’intégrer la société en ce mois de juin 1925, et dont le tempérament mélancolique semble être le miroir du sien.
Tandis que leur attirance mutuelle s’épanouit comme les fleurs des cerisiers, un célibataire aisé aux activités singulières, Michio Moroto, qui se livre à des expériences chirurgicales bizarres sur les animaux et qui est attiré depuis plusieurs années par le narrateur, demande la même Hatsuyo en mariage, de manière inexplicable étant donné son dégoût des femmes.
Peu de temps après, Hatsuyo est assassinée pour des raisons obscures, et son cadavre est retrouvé dans une chambre inaccessible et hermétiquement fermée de l’intérieur, les meurtres insolubles en apparence étant une des marques de fabrique d’Edogawa Ranpo («Inju : La bête dans l'ombre»), sur les traces de l’inspirateur de son nom de plume, Edgar Allan Poe.
«Ami lecteur, j’étais jeune en ce temps-là. La rancune de m’être fait déposséder de mon amour m’avait mis hors de moi. Je n’imaginais même pas les difficultés, les dangers auxquels j’allais faire face, et cet enfer sur terre comme surgi d’un autre monde qui m’attendait.»
Habité par sa volonté de retrouver ce criminel démoniaque, Minoura fait appel à son ami érudit et friand d’enquêtes criminelles Kôkichi Miyamagi. Celui-ci est bouleversé par les circonstances du crime, ce qui plonge le narrateur, et le lecteur, dans un imbroglio de plus en plus énigmatique et terrifiant. Kôkichi Miyamagi comme le narrateur et tous ceux qui chercheront à résoudre l’énigme de ce livre, convoquent les intrigues des grands auteurs occidentaux du fantastique noir, Edgar Allan Poe, Conan Doyle et bien sûr H. G. Wells.
«Dans les grandes lignes, j’imagine à peu près ce qui s’est passé, mais il reste un point que je n’arrive décidément pas à expliquer. Non que je sache comment l’interpréter – et il me semble que cette interprétation est juste -, mais si tel est le cas, il s’agit de quelque chose de vraiment affreux. Une abomination sans précédent. Rien que d’y penser, j’en ai des haut-le-cœur. Nous avons affaire à un ennemi de l’humanité.»
Le héros finit par découvrir deux carnets, dont l’un révèle l’histoire et l’appel au secours d’un être humain qui semble venir d’un outre-monde. Cette découverte, et la confession ultérieure de Moroto, vont entraîner Minoura dans un voyage et une quête infiniment singulière, vers une île solitaire de la mer du Sud du Japon peuplée d’humains infirmes et monstrueux, hommage appuyé à «L’île du Dr Moreau» (1896).
«Pour un naïf comme moi, qui étais né et avais grandi à la capitale, cette île solitaire des mers du Sud était comme un autre monde, infiniment mystérieux. Une île perdue où les habitations se comptent sur les doigts de la main, une demeure aux allures de vieux château, des jumeaux enfermés dans un grenier, des infirmes séquestrés dans des chambres condamnées, la caverne d’un gouffre du diable qui ingurgite les hommes… tout cela, pour un natif de la ville, semblait surgi d’un conte mystérieux et fantastique.»
Mêlant le registre policier, la sensualité et l’horreur dans un récit fantastique qui chahuta sans doute les normes culturelles et sociales de l’époque, ce roman de 1930, enfin traduit en mai 2015 en français par Miyako Slocombe pour les éditions Wombat, est un sommet de l’œuvre d’Edogawa Ranpo.
Retrouvez cette note de lecture, et toutes celles de Charybde 2 et 7 sur leur blog ici :
https://charybde2.wordpress.com/2015/07/12/note-de-lecture-le-demon-de-lile-solitaire-edogawa-ranpo/