Le Dernier Frère par lilikb
Le dernier frère, Nathacha Appanah
A soixante ans passés, Raj, le narrateur, se souvient : il se rappelle son enfance à Mapou, village du nord de l'Ile Maurice, il se rappelle les champs de canne, les maisons précaires, la poussière, la boue, les coups de son père, l'amour de sa mère, et surtout, il se rappelle ce cyclone qui a emporté ses deux frères, Anil et Vinod, traçant dans son histoire un grand creux.
Dès le début de ce récit, une écriture discrètement poétique, juste et sensible, nous emporte au cœur de l'enfance de ce personnage, et l'on se fond rapidement dans les sentiments et dans le parcours de Raj, enfant atypique et attachant.
Après la mort des deux frères, Raj et ses parents déménagent à Beau Bassin, où le père de Raj devient gardien de prison. C'est en espionnant l'intérieur de cette prison, à travers la grille, que le regard de Raj croise pour le première fois celui de David, un enfant si différent de lui. Qui est David et que fait-il dans cette prison ? La question va à peine se poser pour Raj ; c'est rapidement une amitié profonde qui va s'installer entre les deux enfants, une amitié presque sans paroles mais d'une force absolue. Cette relation, rencontre entre deux malheurs, est cependant décrite avec pudeur, justesse, délicatesse. Ce n'est qu'en vieillissant que Raj va peu à peu comprendre qui était David, cet ami dont le souvenir ne l'a plus jamais quitté.
Le roman est construit d'une manière harmonieuse, glissant d'un rêve d'adulte vers le récit d'enfance, dévoilant une histoire dont certaines bribes sont déjà révélées au début du roman. Dès le départ, le lecteur connaît l'intensité de l'amitié qui va se nouer ainsi son issue ; et pourtant il se laisse emporter par la musique de cette vie, par cette évolution du personnage. Le récit nous fait vivre, au plus près de l'enfance, une histoire d'amitié qui laisse transparaître pudiquement un arrière-fond historique lourd. Nathacha Appanah aborde ici un épisode méconnu de l'histoire des Juifs pendant la seconde guerre mondiale et dans ce décor historique, elle noue le destin de deux enfants que tout séparait, sauf le malheur. La force de ce roman, c'est qu'il peut se lire aussi bien "horizontalement" - en se laissant emporter par la fluidité des mots - que "verticalement"- en réfléchissant aux résonances historiques, psychologiques, symboliques de cette histoire, en se centrant sur ce qu'elle nous dit de l'homme,du malheur, de sa relation à l'autre.