Légers spoilers !
Lorsqu'il se met à écrire Le Dernier Jour d'un Condamné, Hugo a seulement 27 ans. Il est pourtant, déjà, un grand nom de la littérature de l'époque, l'auteur de deux romans, de plusieurs recueils de poésie, et d'une pièce très innovante, Cromwell. Il n'est cependant pas encore prêt à réaliser le rêve qu'il couchait sur papier, à douze ans, "devenir Chateaubriand ou rien." Ce roman va l'y aider.
Peut-on vraiment parler d'un roman ? C'est plutôt un violent pamphlet, utilisant les codes du roman, quoique détournés. Ici, on suit les mésaventures d'un pauvre bougre condamné à mort, qui nous relate ses malheurs, durant ses vingt-quatre dernières heures, à la première personne. On ne sait absolument rien de lui : qui il est, ce qu'il a fait, d'où il vient, tout cela est caché au lecteur. Quand un chapitre annonce "mon histoire" alors une brève incursion de l'éditeur indique que les feuillets correspondants ont disparu ! Ce qui a gêné certaines critiques à l'époque, jugeant le personnage trop distant, trop froid, se comprend parfaitement : ici, Hugo défend le condamné à mort. Il ne défend pas l'assassin, le voleur, le traître, seulement l'homme, le condamné, face à sa fin, peu importe ce qu'il a pu faire. Il le dit lui-même bien mieux : "plaider la cause d'un condamné quelconque, exécuté un jour quelconque pour un crime quelconque."
Cela empêche t-il le roman d'être émouvant ou prenant ? Est-il vraiment désincarné ? Pas du tout, personnellement, je me suis laissé prendre par cette histoire, par cet homme dont on ne sait rien, qui livre ses pensées et laisse éclater toute sa peur et sa détresse au fil des pages. Certaines scènes sont extrêmement tristes et bouleversantes, d'autres d'un humour noir qui confine presque au cynisme. Et plus la fin du roman et donc le couperet approche, plus le lecteur s'attache au héros. Jusqu'à une fin assez magistrale, où Hugo, par son verbe toujours aussi poétique, nous décrit la fin de ce misérable, au milieu de cette foule bête et sauvage. On en vient à se questionner : qui est le monstre ?
C'est ce roman, lu en troisième, qui m'a poussé à réfléchir sur la peine de mort. Hugo y est bien sûr un farouche opposant (selon sa fille Adèle, le spectacle d'un guillotiné qu'il n'a pu supporter à probablement été l'élément déclencheur), livre ici ses arguments, d'une plume subtile, toujours aussi belle et poétique, mâtinés de quelques éléments autobiographiques. A lire, d'autant plus que sa centaine de pages et sa simplicité ne devrait effrayer personne, contrairement à d'autres de ses œuvres. C'est indispensable, ça fait froid dans le dos, ça fait craindre la mort, mais c'est indispensable.