Un bon gros loser. Voilà tout ce qu'est Fred Exley, auteur et sujet de cette fausse autobiographie - livre symbolique des éditions Monsieur Toussaint Louverture, très représentatif du ton de leurs productions. Difficile de déchiffrer la part d'exagération dans cette peinture impitoyable de lui-même, en poivrot indécrottable, consternant par son masochisme crétin et son absence d'amour propre. Et pourtant, il devient un personnage génial, en racontant avec une totale désillusion le triste déroulement de sa vie, dans un désordre complet, sûrement dû à un lendemain de cuite.


Fils d'un père idolâtré par toute une ville pour ses exploits sportifs, le petit Frederick est dès ses débuts condamné à être un suivant, à ne pas pouvoir briller au premier plan. Ses ambitions professionnelles se heurtent souvent à sa stratégie de se démarquer absolument de tout le monde, qui l'amène juste à passer pour un dingue ; ou bien s'arrêtent à la frontière de sa flemme et de son canapé. Ses histoires sentimentales, bien que fréquentes, ne sont jamais très éclatantes, et son seul amour le rend tout à fait impuissant. Ses premiers maîtres à penser sont des gens qui l'ont ignoré, et de ces revers il tire des enseignements qui orientent sa vie. Seule l'amitié peut-être lui réussit, grâce à une sympathie innée qu'il inspire ; mais elle tourne souvent à une relation unilatérale, où ses amis plus fortunés se sentent forcés de l'aider à chaque fois qu'il l'exige.


Déclaré instable à de nombreuses reprises, Exley atterrit fréquemment dans un établissement psychiatrique, Avalon Valley, où il a le plaisir de passer plusieurs semaines avec des spécimens bien plus étranges encore. Et ses périodes de liberté sont occupés principalement par le football américain et la boisson, activités qu'il pratique simultanément dans un bar, le dimanche après-midi. Dans ces deux univers en particulier, et dans le reste du bouquin en général, il fait la rencontre d'un carnaval de personnages hallucinants : Paddy the Duke le champion de ping-pong, Popi, le ridicule beau-père, l'Avocat, dont le canapé accueillant héberge grand nombre d'âmes errantes, Mister Blue, VRP illuminé, mythomane et obsédé, Bumpy, le beau-frère, grand niais fasciné par Exley, et encore quelques autres...


Bousculé par la vie, trimballant sa carcasse à travers les États-Unis, Exley n'a pas d'attaches, pas de certitudes, pas de but. Son penchant pour l'alcool ruine toutes ses tentatives pour gagner une situation ; mais la question est là : veut-il vraiment arriver quelque part ?



Je me sentais comme un homme qui mange trop vite, boit trop, oublie parfois de se laver les dents et de se nettoyer les ongles, s'adonne au grattage pensif de ses parties et au largage ponctuel de pets, et qui se réveille un beau matin en couverture du Saturday Evening Post, en train de découper la putain de dinde de Thanksgiving pour une famille qu'il ne connaît ni d’Ève ni d'Adam.



Alors oui, Fred Exley est un loser, mais ses aventures pathétiques et désespérantes sont une source de réjouissements et de surprises continus. Son cynisme dépassé et son flegme sans faille font de son récit confus un rêve alcoolisé où le ridicule et l'improbable se mêlent pour devenir la réalité. Et finalement, on s'y plait aussi.

Florentin
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le 5 févr. 2016

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