D'un style aérien, complexe et puissant, utilisant un vocabulaire tout aussi désuet que mélodieux, Le Desespéré est une oeuvre simplement incroyable, qui présente une personne non moins incroyable, Caïn Marchenoir, résolu catholique, d'une ferveur égale à sa virulence envers ses nombreux ennemis. Le livre est alors parsemé de puissants pamphlets, dont on sort frissonnant et extatique. Marchenoir en veut à la terre entière et sa venimeuse plume l'aide à en découdre. Il arrache, il taille, il attaque, il dénonce, avec une rage, une férocité hors du commun, une ténacité audacieuse. Bloy, par son intermédiaire, lance un appel de haine envers un monde que ni Caïn, ni lui, ne parviennent plus désormais à comprendre, engoncés dans leurs principes moraux et religieux, dont ils leur semblent que tout le reste de l'humanité s'essuie les pieds dessus. Engendrant alors chez eux une incompréhension, doublée d'une colère froide et vengeresse envers cette humanité aplatie, qu'ils aimeraient grande et conquérante (et donc, chrétienne et fervente) alors qu'ils la perçoivent comme minuscule et avilie. Rien ni personne ne trouve grâce à leurs yeux, à part les fervents chrétiens et les pauvres, mystiques christiques s'il en est. Les riches, les bourgeois, les journalistes, les écrivains, les mondains, les juifs, ... sont accusés de soutenir et de participer à une caricature d'humanité, qui serait avilie par l'argent, le profit personnel, la médiocrité intellectuelle et littéraire.
En somme, Bloy met en avant un personnage qui, non content d'être désespéré par le monde, le déteste cordialement. Ses éclats de colère sont mémorables, fantastiques et formidables. Et le style littéraire de Bloy, par-dessus ce diamant brut de haine et de désespoir, en fait le meilleur roman de littérature sur lequel j'ai eu la possibilité de poser les yeux.