Paru en 1858 - soit presque vingt ans avant la parution d'"Anna Karénine" - j'ose pourtant affirmer que "Le destin d'Anna Pavlovna" - tiens, une autre Anna ! - porte en lui les germes et les grandes lignes qui feront du roman de Tolstoï le chef-d'oeuvre que l'on connaît.
Alekseï Pisemski est un auteur moins connu du lectorat français mais son style - convaincant compromis entre le théâtral Gogol et le sentimental Tourgueniev - mérite vraiment d'être découvert et apprécié. Il n'y a vraiment qu'un auteur russe pour pouvoir mettre autant d'humour et d'ironie dans un drame passionnel, et ce avec talent.
Anna Pavlovna, notre héroïne, a fait un mariage de convenance pour obéir à son père, et vit très malheureuse à la campagne, aux côtés d'un mari tyrannique et violent. Cette existence sans joie la mine, sa santé décline rapidement et celle qui fut jadis l'une des beautés de Petersbourg n'est plus qu'une fleur fanée... jusqu'au jour où son destin la place face à son amour de jeunesse.
Roman dense qui traite à la fois de la société russe d'avant l'abolition du servage, et des destins particuliers d'une poignée de personnages masculins tournant en orbite autour d'une figure féminine poignante et tragique. Roman de l'adultère, roman de l'asservissement, mais aussi roman qui met en évidence la condition féminine et la femme dans toutes ses fragilités (d'alors ?) : son impuissance, sa sujétion à l'homme, sa sentimentalité et sa dépendance financière.
Au final, un message fort et moderne se dégage de la narration très scénarisée de Pisemski : la femme ne peut maîtriser son destin. Jouet des hommes, elle est manipulée et plus souvent brisée que valorisée. L'auteur le démontre, le dénonce et porte le lecteur à s'en affliger avec lui.
Une belle découverte.
Mon seul reproche ira à l'éditeur, Les Ateliers Henry Dougier. Belle couverture, beau papier, bon interligne... mais pour 17,90€ j'aurais apprécié ne pas me heurter à autant de coquilles en l'espace de 250 pages seulement.