Hegel l'a montré "le sujet ne se pose qu'en s'opposant : il prétend s'affirmer comme l'essentiel et constituer l'autre en inessentiel, en objet". Mais les rapports de force s'inversent toujours : l'esclave finit par se révolter contre le maître. Or les femmes n'ont jamais échappé à leur soumission.
Cela s'explique d'abord parce que la femme (dominée) fait couple avec son oppresseur en raison d'une nécessité biologique qui les rive l'un à l'autre. Ainsi les femmes ne peuvent se solidariser entre elles comme le feraient les esclaves ou les prolétaires pour exterminer leurs oppresseurs. A cela s'ajoutent l'avantage économique qu'elles trouvent souvent dans la protection masculine et la tentation de la passivité qu'éprouve tout être humain face au dur devoir d'assumer sa liberté : dominées malgré elles, elles deviennent les compliques de leurs oppresseurs.
Les travailleuses pauvres sont affranchies en tant que femmes mais asservies en tant que classe, alors que les bourgeoises connaissent des limitations inverses. Ainsi la grande majorité des femmes a toujours subi des contraintes soit abstraites, soit concrètes, soit les deux à la fois. Compte tenu de cette mise en tutelle, les réussites des femmes se révèlent exceptionnelles.
Les mythes montrent combien l'homme a besoin de l'altérité de la femme, non seulement pour la dominer et la posséder, mais aussi pour se voir confirmer son statut de sujet. Aliénantes pour les femmes qui risquent de se laisser piéger dans un "être pour autrui", les représentations mythiques sont également porteuses de déceptions pour les hommes, confrontés dans le quotidien à des personnes concrètement forcément différentes.
Educateurs et éducatrices se montrent plus indulgents pour les filles qu'ils protègent et cajolent davantage car ils ne souhaitent pas leur émancipation. Ils exigent, au contraire, plus d'autonomie de la part du garçon voué à de plus grandes ambitions. C'est alors que commence la valorisation du pénis qui, à la différence de ce que pense Freud, est inculquée par l'entourage en guise de compensation à la dureté particulière du sevrage et non pas fondée sur un privilège biologique spontanément perçu. L'organe masculin devient un double dans lequel le petit garçon peut se projeter fièrement. La petite fille, faute d'un organe sexuel aussi visible et maniable, ne dispose dans cette fonction que de poupées.Celles-ci l'invitent à développer sa passivité et surtout son narcissisme, ainsi que son goût de plaire, tentation commune aux deux sexes, mais dont on détourne le petit garçon.
L'éducation va s'ingénier à épanouir la hardiesse, l'initiative, la curiosité chez le garçon, alors que l'on dresse la fillette à devenir une "vraie femme", c'est-à-dire une poupée vivante, destinée à plaire par des vertus "féminines" comme la pudeur, le goût de la parure, un maintien modestes.
La "féminité" devient un impératif pour plaire aux hommes. Or, être "féminine, c'est se montrer impotente, futile, passive, docile". Aussi la jeune fille e caractérise-t-elle par la division intérieure. Alors que pour le garçon, la vocation d'être humain (qui implique liberté, activité, conquête) et sa vocation de mâle se confondent (sa séduction repose sur sa puissance sociale), pour la fille au contraire, il y a "divorce entre sa condition proprement humaine et sa vocation féminine". (II,98)
Si l'acceptation du sort qui l'attend demeure ambiguë, sa contestation se révèle symbolique, faute de possibilité d'action réelle. La protestation pourra prendre des formes futiles (ricanements, obscénités verbales, manies alimentaires) ou étranges (automutilation, fugue, kleptomanie). La jeune fille se complaît souvent dans des fantasmes de prostitution, car le refus de devenir objet conduit à se reconstituer en objet. Pour compenser le vide de son existence, elle se réfugiera dans le mensonge, les caprices, les scènes puériles.
Il y aurait trois types de solutions individuelles expérimentées par les femmes pour tenter de sortir de leur prison : la narcissiste (se voue à un culte exclusif car on a frustré ses aspirations à devenir sujet; l'amoureuse (accomplit la vocation suprême qu'on lui a assignée); la mystique (vit la religion comme un amour absolu).
La guerre des sexes est historique et non physiologique : autrefois la femme mutilée (empêchée d'être sujet) cherchait à retenir l'homme auprès d'elle, pour le mutiler à son tour en guise de défense; aujourd'hui, la femme émancipée veut s'évader de sa prison, mais l'homme tente de l'en empêcher.