Quand Docteur Jekyll et Mister Hyde rencontrent Kafka
Iakov Pétrovitch Goliadkine est un fonctionnaire St-Pétersbourgeois « modèle », sans histoires, honnête, droit, bien qu’un peu associable, discret, réservé de nature et ne partageant pas toutes les habitudes des individus de sa classe. Après, un cuisant échec, une morne soirée où notre ami s’est fait rejeté comme un pestiféré, notre bon Goliadkine rencontre fortuitement dans la rue un individu qui lui ressemble particulièrement, et qui en fin de compte semble être le reflet de sa propre image, tant du point de vue physique que de son identité (il porte le même nom), mais qui va se révéler d’une personnalité toute autre. Un peu comme son parfait contraire tout compte fait. Et ce sacripant de double va se révéler plus qu’envahissant, tant dans le cadre privé qu’au travail de monsieur Goliadkine, où il va se faire une joie de ternir la réputation de Goliadkine, tout en s’élevant doucement mais surement au sein de la société au détriment de notre héros. Mais comment ce dernier va gérer cette situation qui semble être irréelle ?
Une chose m’a d’abord frappé, décontenancé en commençant le Double. Le style, assez différent de Crime et Châtiment. J’émets deux hypothèses quant à cette impression. Soit c’est Dostoïevski lui-même, qui a essayé de coller au caractère psychologique, instable, du personnage principal de son roman à travers une écriture plus abrupte, plus hachée pour mieux s’identifier aux déboires de notre pathétique Goliadkine (à travers une sorte de retranscription directe des pensées du personnage), soit ce ressenti vient du travail de la traduction, ayant cette fois-ci choisit une traduction du fameux André Markowicz, qui parait-il, colle plus au style de Dostoïevski et retranscrit bien la prose particulière de l’auteur. A moins que finalement, les deux hypothèses se révèlent chacune valides.
Pour autant, bien que j’ai eu un peu de mal à me plonger dans le roman par cet aspect un peu saccadé, embrouillé, j’en ressors évidemment charmé et convaincu, après un petit temps d’adaptation.
La grande force du roman est la façon magistrale, que j'avais déjà pu constater auparavant, qu’a Dostoïevski de pouvoir s’introduire dans la tête de ses personnages, de mettre à jour leur psychologie et ici de parfaitement retranscrire toute l’évolution mentale de notre cher Goliadkine, qui semble peu à peu perdre les pédales, tomber dans la paranoïa (victimaire) et ne plus du tout savoir comment se comporter face aux événements improbables qui lui arrivent, qui semblent à la fois si irréels et si vraisemblables. C’est le lent mais sûr basculement en pleine schizophrénie, inconsciemment bien entendu, car le fou, se rend-t-il compte qu’il est fou ?
Du reste, j’ai aussi bien apprécié la façon qu’a Dostoïevski de se jouer doucement, mais surement des mœurs de son époque, et en particulier ici de ce monde absurde de fonctionnaires, où il est très difficile de sa faire accepter et respecter en ayant un comportement « déviant », où toute action est encadrée par une stricte hiérarchie et où l’apparat, le paraître, semble diriger la vie de chacun. C’est notamment le cas du personnage principal du roman qui, même en étant par certains aspects différents de ses collègues fonctionnaires, est transit d’effroi à l’idée que sa réputation soit ternie par quelque action que ce soit de son double maléfique, comme si cela était la chose la précieuse à ses yeux.
Pour conclure, Le Double est un roman psychologique captivant, plus torturé, obscur et confus que Le Joueur, certes moins profond ou grandiose qu’un Crime et Châtiment, mais qui demeure une œuvre appréciable du maître de la littérature russe.
Quant à moi, il ne me reste plus qu’à me décider sur le prochain Dostoïevski à entamer …