J'ai, ce petit livre, dévoré d'une traite. Comme souvent chez les fins observateurs, son auteure sait décrire avec subtilité les diverses manifestation d'un Faux-Self acquis dans l'enfance pour s'adapter à une demande parentale instrumentalisante. Les résonances des descriptions et témoignages avec ma propre histoire sont suffisants pour que j'y accorde quelque crédit. Grandiosité (ou histrionisme) et dépression sont les adaptations d'un mépris de ses propres besoins éprouvé dans l'enfance, souvent par le nourrisson dont.
Je lui reprocherais cependant, au-delà de l'intérêt intrinsèque de sa phénoménologie, son caractère par trop schématique, que nulle topique théorique ne renforce réellement, dont l'apogée se situe sans doute dans des considérations de sociologie politique (origine de toute violence sociale et des passions d'extrême-droite, pour le dire vite) dont je ne peux que regretter le manque d'assise tant factuelle que conceptuelle - dit clairement : bien des assertions paraissent gratuites.
Prenons par exemple "Les innombrables formes des égarements nationalistes (..) nous montrent clairement qu'ils procèdent tous de la même folie, qui s'alimente aux sentients et souvenirs refoulés de leurs responsables, et n'ont rien à voir avec des considérations rationnelles." Il me semble déceler là 1. une pétition de principe et 2. un paralogisme certain.
Pétition de principe : les nationalismes ne sont pas rationnels. Je ne pense pas que ce soit correct. Ils ont leur rationalité - mâtinée d'un bon paquet de sentiments adverses et de refus de certains faits. Le sous-texte que "l'avenir démocratique" (sous-entendu non nationaliste), dont quelques paragraphes auparavant, l'auteure nous indique vouloir contribuer à assurer la préservation, est quant à lui rationnel, ou plus rationnel. Ce qu'il conviendrait de démontrer et ne me semble en rien évident - la démocratie est sans doute en moyenne plus respectueuse de la plupart des droits du plus grand nombre, mais de là à dire qu'elle est plus _rationnelle_ qu'une de ses déclinaisons nationalistes...
Paralogisme : si même on admet que que les égarements nationalistes ne sont pas rationnels, il faut, pour aboutir à la conclusion de l'auteure, qu'irrationnel => alimentés aux sentiments refoulés tels que décrits dans le livre, issues de violence faite à enfant. Aussi séduisante cette hypothèse soit-elle, et aussi potentiellement vraisemblable, elle n'en demeure pas moins... une hypothèse, que rien dans l'ouvrage ne permet de fonder autrement que comme un bon point de départ pour un travail de vérification authentiquement rationnel.
Il me semble qu'en fait l'auteure commet ici une faute de logique. Il est en effet assez clairement établi par la pratique psychothérapeutique qu'alimenté aux sentiments refoulés => actes irrationnels (c'est-à-dire entretenant une souffrance dans la répétition d'actes morbides, de façon à éviter une souffrance plus grande encore, celle de se voir confronté aux souvenirs du ou des traumas, inconsciemment fantasmés comme délétères). Les patients le reconnaissent eux-même, en remontant au traumatisme source de façon à s'en libérer, dans l'anamnèse, des émotions négative. Le renversement de l'inférence (actes irrationnels => ancrage dans des sentiments refoulés) relève d'un non sequitur et mène à l'affirmation (illogique !) du conséquent.
On retrouve ce paralogisme dans tout le livre : dès lors qu'un comportement ressemble à ce qui est la conséquence d'un traumatisme d'enfance, on trouve l'affirmation de l'existence du trouble - là où on ne pourrait qu'y voir une suspicion possible). Cela donne l'illusion au lecteur d'une certaine simplicité de la psyché : si tu as tels ou tels symptômes, alors c'est que tu as vécu tels ou tels événements. Ce schématisme malheureux est accentué de ce qu'Alice Miller envisage, de façon suggestive et à mon sens pertinente au moins dans les limites de son analyse, sous le même angle maltraitance obvie (viols, brutalités, ...) et maltraitance ordinaire (petits actes de mépris ou "d'éducation", à la propreté, au silence, à la suppléance psychologique ou sociale d'un parent, auxquels leur précocité et leurs sur-excitabilités (Dabrowski) rendent particulièrement sensibles les enfants dits "doués").
Dès lors, bien que je recommande vivement la lecture de ce l'opuscule, surtout aux HP mal dans leur peau, il ne m'est guère possible de m'en enthousiasmer plus loin qu'un 7.
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