Très belle petite nouvelle de Conrad, découverte grâce au film de Ridley Scott (par ailleurs excellent).
En fait, je pense qu'il y a une erreur dans l'interprétation de Conrad : on en parle souvent comme un "artiste de la prose", un "moderniste", qui eût exploré la "profondeur métaphysique de l'âme humaine". Réputation largement méritée par Au coeur des ténèbres.
Mais au fond, Conrad est un type à l'ancienne. La vérité morale de Conrad, c'est celle d'un officier de la marine marchande : croire en l'honneur ; chercher la gloire ; s'accrocher en dépit des apparences fâcheuses.
Par ailleurs, j'ai toujours trouvé son style très boursouflé et incompréhensible (pas pu dépasser 30 pages de Lord Jim sans m'endormir).
Cependant Le Duel échappe à ces défauts : l'histoire est magnifiquement écrite, bien campée; le fond absurde de cette histoire, le magnifique personnage du colonel Ferraud (qu'on appelait aujourd'hui un "pervers narcissique", ou un "individu toxique"), m'ont beaucoup plu. Hubert, par son ambiguïté (chic type, mais arriviste convaincu), donne un bon contrepoids à cette rage sourde, kafkaïenne, obtuse, de Ferraud. La fin se lit avec un réel suspens. Conclusion : Conrad est bien meilleur quand il oublie ses bateaux et retourne à la terre (d'ailleurs, Kurtz était découvert au fin fond de la jungle).
Entre autres, si on est amateur de l'épopée napoléonienne ("La gloire ! La Grandeur!" Balzac, Le médecin de campagne), on ne peut qu'apprécier cette atmosphère de corps de garde combative, m'as-tu-vu, folle de fureur, et étrangement chevaleresque.