En 1949, Colette était déjà une institution mais aussi une vieille dame arthritique, martyrisée par ses jambes inutiles. Mais elle gardait l’œil acéré et la plume vive. Pour ne rien dire de son odorat de limier, capable d'identifier les fleurs à plusieurs mètres. Ces sens en alerte, couplés à une expression inimitable, donnent un livre doux-amer, centré sur ce qui palpitait encore en elle, et résolument voué à éloigner d'elle toute mélancolie. Y défilent ses amis, ses animaux, ses lecteurs, tous saisis "à la Colette" dans ce qu'ils avaient de drôle et d'attachant. Et une flore étonnamment fournie. L'époque était à une certaine naïveté, si l'on juge par les courriers des lecteurs chargés de demandes extravagantes, mais je parie qu'on serait surpris de dépouiller les mails des célébrités d'aujourd'hui... difficile de mesurer ce qui a vraiment changé depuis la fin des années 40 dans les engouements et les attentes irréalistes des gens. L'étonnement de Colette devant l'abondance de lait frais en Suisse laisse penser qu'elle hallucinerait tout bonnement de nous voir crouler sous les biens de consommation, même en période de restriction des déplacements. De ce livre, je retiendrai surtout l'émouvant portrait qu'elle nous fait de sa copine Marguerite Moreno, sur un bon nombre de pages, qui donne envie d'aller se documenter un peu plus sur celle qui arrache à l'écrivaine tant de jolies formules. Pour le reste, il est toujours plaisant de passer du temps en compagnie des phrases pleines de sève de l'auteure poyaudine, même en l'absence de trame romanesque, tant ses descriptions font mouche.