Chronique vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=0gBhttXGJrA


De quoi parle Le goût des garçons ? Il s’agira de suivre quelques mois dans la vie d’une jeune fille de treize ans, tiraillée par ses premiers désirs, dans un pays, possiblement le Liban (mais qui pourrait se situer n’importe où pour les double standard qu’il impose aux femmes). Entre les religieuses de son école, les filles jalouses, les parents inquiets ou médisants, cet éveil sera pour elle une quête d’identité et d’indépendance.


Au début, les filles de la classe sont décrites de manière assez animale, classées selon la couleur de leur pilosité, de leur pelage dixit l’autrice, et c’est pertinent, je trouve de parler du début de la puberté comme d’une entrée dans la bestialité, dans l’étrange, dans une sorte de freak-show où l’on se sent différent, parfois même monstrueux, ou en tout cas, anormal. C’est bien de ne pas euphémiser cette période qui peut être brutale, et qu’on a tendance à passer sous silence, comme les marketeux qui bleuissent le sang des règles et rasent des jambes imberbes, inscrivant dans l’esprit des jeunes filles qu’elles sont hors-normes ou sale.


Ce qui est intéressant aussi, c’est l’héritage maternel qui rôde autour de ces filles comme un rapace, et leur inculque un tas de valeurs morales, dont le slutshaming (qui est le fait de dénoncer la sexualité ou l’attitude soi-disant aguicheuse des autres femmes) me parait le meilleur exemple. Sous couvert de protection, voire d’initiation au monde des adultes, on balise le leur, avec des tas d’injonctions étouffantes. On perpétue finalement le patriarcat, car c’est surtout aux hommes que profitent ces règles. La sexualité des femmes produit le même effet d’attraction répulsion que la mort, il y a ce même danger séduisant, qui bien entendu ne peut qu’attirer les adolescentes qui veulent s’individualiser et grandir.


Il y a la cruauté aussi, cruauté entre deux mondes, franchise de l’enfance, polie par le ressentiment des adultes. Les filles se jaugent, se condamnent, peut-être un moyen de se situer aussi, de se donner une valeur, savoir où elles se trouvent dans cette frise de l’âge ingrat. Et puis l’innocence. L’autrice Florence Dalbes dit qu’il y a de la cruauté dans l’innocence. L’innocence, c’est aussi ne pas savoir le mal. Que ce soit dans ce besoin de rabaisser les autres, dans cet attrait des distinctions de classe, dans cet appétit mal maitrisé car nié au lieu d’être expliqué, le roman dérange car il tend un miroir cassé du monde des adultes. On voit les monstres que ça crée, ceux qui ânonnent la recherche des bonnes écoles pour leur soupirants, qui se moquent de la graisse de l’amie. Ces monstres, c’est le retour du refoulé des mères et des pères, du monde des adultes. On le voit encore plus dans la manière dont l’éducation sexuelle est transmise, à base d’interventions menaçantes, de vidéos et d’images d’avortements, bref, de peur plus que de savoir.


En ce sens, il me fait penser à l’essai de Leila Slimani sur le sexe au Maroc, comment l’interdit et la religion au lieu d’atténuer le désir le rend obsessionnel, comment aussi les choses sont tolérées si elles sont cachées. En effet, les filles qu’envie la narratrice « ont le goût des transgressions silencieuses et jouissent plus fort derrière les portes closes. » Et la précocité de la narratrice peut aller dans ce sens, dans une envie de révéler l’hypocrisie de cette société, un geste politique.


Le livre sous forme de confessions peut reprendre ironiquement la littérature du XVIIIème siècle. Il y a un petit air des Liaisons dangereuses dans cette apprentissage de l’amour et de ses stratégies. Même si le récit est sous forme de roman, l’absence de nom de l’héroïne peut nous faire supposer des traces autobiographiques. Les années 2000, avec la mode des strings, les balbutiements d’internet, donne une teneur générationnelle à ce livre. Difficile de ne pas se reconnaitre. Et encore une fois de chercher à se situer, même adulte. C’est une critique qui revient sur babélio, celui de se comparer soi-même au même âge, ce qui est assez drôle, car ça va dans le sens du livre. La voix du roman, celle de parler de cette trivialité avec ce style un peu maniéré donne une vraie originalité au tout, et un vrai second degré. Comme si l’adulte qui écrit prend au mot ce que l’adolescente de son souvenir lui dit. Cette manière grandiloquente de se raconter, de se créer. Comme ces poses hasardeuses qu’elle prend, les phrases prennent la forme de ces angles impossibles. Bref, un roman à découvrir !

YasminaBehagle
7
Écrit par

Créée

le 23 avr. 2022

Critique lue 71 fois

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YasminaBehagle

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