Le Hussard Noir s'inscrit résolument dans la modernité. Dans les thématiques qu'il traite, bien sûr - les réformes successives de l'enseignement inutiles voire contre-productives, le sentiment d'impuissance des profs, la (non-)mixité sociale, l'emballement médiatique, les débats stériles des réseaux sociaux - mais aussi, et peut-être surtout, dans sa forme.
Le roman est d'abord polyphonique : il est certes question du point de vue de Thomas Debord, le fameux hussard noir, professeur de français de 28 ans en ZEP profondément révolté par le système et convaincu que la seule façon de faire entendre sa colère, ses idées, et la voix de ses élèves est un coup d'éclat, mais également - entre autres - de ceux de ses élèves, du commandant chargé des négociations, de journalistes et de nombreux anonymes sur Twitter. Les chapitres se succèdent en offrant une multitude de facettes, épousant les contours de leurs protagonistes. La langue s'adapte avec bonheur, entre les envolées foutraques et confuses de Debord, l'argot de ses élèves, la clarté du commandant Dufresne, et les absurdités twitteresques - fautes d'orthographe évidemment comprises. Marie Pellan et William Lafleur (Msieur le Prof) savent de quoi et de qui ils parlent, et on sent l'envie de ne pas caricaturer leurs paroles (seul Twitter est une caricature ; mais Twitter est toujours une caricature).
Cette polyphonie se seconde d'une multiplicité des supports. J'ai déjà parlé des tweets reproduits, qui rythment l'évolution de la situation, mais le livre foisonne de ce genre de troc des codes de la littérature, qui ouvre la littérature à la réalité du monde extérieur - ce qui n'a plus rien de neuf, mais reste relativement rare. On croisera ainsi tour à tour un forum d'enseignants, des articles de presse reproduits comme on les trouverait sur internet, des extraits du journal de bord de Debord, un communiqué de presse...
Cette porosité entre l'objet littéraire et tous les supports sur lesquels sont aujourd'hui portés les écrits va un cran plus loin encore. Puisque non contents d'amener internet dans Le Hussard Noir, les auteurs ont astucieusement amené le protagoniste littéraire sur internet - le vrai. Le blog de Thomas Debord (https://hussardnoirenzep.wordpress.com/) et son compte Twitter (https://twitter.com/LeHussardNoir) existent tous deux depuis septembre 2017, et ont été régulièrement alimentés depuis. Il est ainsi croustillant de découvrir les réelles interactions que @LeHussardNoir a eues au fil des mois et de l'actualité - comme celles de ce tweet plébiscité qui affirmait en octobre 2018, en plein cœur de #PasDeVague, "pour que les médias s'intéressent un peu à ce qu'il se passe, faut qu'il y ait un gun en salle de classe."
En ce sens, Le Hussard Noir s'impose comme une œuvre profondément littéraire, portant une réflexion par-delà ses 335 pages et ancré dans la réalité.