Critique de Shaynning
BD adulte de 2020, "Chinese Queer" est ce genre de Bd qui comporte une forte dimension philosophique existentielle, un côté de critique sociale et un graphisme assez particulier.Faire un résumé de...
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le 22 mai 2022
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Incontournable Janvier 2025
La petite maison de M. Ed nous invite dans le jardin de monsieur Kuroki, un japonais qui existe bel et bien, et qui a réaliser un projet pour sa conjointe qui a tout d'une incroyable histoire d'amour.
Monsieur et madame Kuroki vivent sur une ferme, avec le souhait qu'un jour, ils pourront voyager. Malheureusement, alors âgée dans la cinquantaine, le vue de madame Kuroki décline. Face à son inéluctable cécité, elle se repli sur elle-même et perd le sourire. Son mari a alors une idée qui va tout changer: Convertir sa ferme en jardin ouvert aux touristes. Durant deux ans, il rase les arbres et plante des centaines de fleurs, qu'on appelle "shibazakuras" ( cerisier-pelouse), des fleurs roses magnifiques qui ont une odeur forte et dont madame Kuroki raffole. Peu à peu des gens viennent se promener sur les petits chemins sillonnant à travers la "pelouse" rose. Assise sur les bancs bleus du jardin, madame Kuroki interagit avec des gens venus d'un peu partout et sort peu à peu de sa morosité.
Loin de toutes ces histoires profondément superficielles et malsaines qui se prétendent romantiques ces temps-ci dans les romans destinés aux femmes, voir ce type d'histoire d'amour me redonne foi en l'humanité. Pas besoin de cadeaux de luxe et de château à gogo pour exprimer son amour. Ici, c'est un homme présent et empathique qui a un amour si sincère pour sa conjointe qu'il lui formule un cadeau pour ni plus ni moins que sa santé mentale. Elle a rêver de visiter le monde? Et bien , faisons venir le monde à elle. Elle aime les fleurs? Confectionnons lui un jardin, où son nez deviendra ses yeux. Mais surtout, pensez à tout ce temps qui aura fallut à monsieur Kuroki pour le créer ce jardin? Il me semble que c'est là la réelle force de l'amour, le vrai, le profond, celui d'un l'investissement inconditionnel en affection et d'un degré d'abnégation pour penser aux besoins de l'autre. Je me dis que les plus beaux présents sont ceux lié justement aux besoins vitaux, ceux de l'âme, pas ceux du paraitre et du matériel. Bref, voilà ce qui pour moi me fait vraiment rêver quand on parle de romance. Et je remarque que c'est aussi un de mes "couples" préférés, c'est-à-dire un "vieux couple", de ceux qui durent et de ceux qui s'entretiennent. Dans les romans, on parle quasiment toujours des romances à leur début, avec une obsession pour la passion dévorante au détriment de tous les autres aspects d'une relation. Dans les vieux couples amoureux qui fonctionnent, il y a des compromis, des discussions, des souvenirs bâtis ensemble, du respect, de la confiance entretenue et bien sur, un attachement réel. Alors quand je vois des couples comme celui des Kuroki, je me dis que ce sont eux qu'on devrait montrer en exemple, plutôt que ces catastrophiques romances toxiques qui sont légion actuellement en littérature et qui ne véhiculent que superficialité, contrôle maladif, mâle alphatisme et souffrances , et ce, bien sur, contre les filles et les femmes.
Je fais du poing sur la santé mental, car il en est question ici. Perdre le vue est quelque chose de radical, ne ce sens où c'est un sens qui est perdu. Cela vient avec une perte globale de repaires, autant de l'ordre spatial ( l'environnement) que psychologique. Madame Kuroki se voyait voyager et sa cécité peut rendre ce projet difficile. Toutes ces tâches qu'elle avait sur sa ferme et dans sa maison, elle ne peut plus les faire. Il y a donc pour elle de gros enjeux d'adaptation, mais aussi un deuil qui s'enclenche. Elle présente même certains indices dépressifs et cela se comprend tout-à-fait. Monsieur Kuroki, qui est sensible à l'état de santé de sa conjointe, semble avoir assez bien saisi quelques enjeux se profilaient avec ce changement et a su prendre le contrôle sur ce sur quoi il peut en avoir. S'il ne peut rien contre la dégénérescence de ses yeux, il a cependant le contrôle sur d'autres éléments, comme d'être présent et attentif à sa femme. Il l'a connait aussi suffisamment bien pour élaborer son projet de jardin, pour lui remettre un peu de ce qu'elle pense avoir perdu. Monsieur Kuroki est lui même un formidable facteur de protection dans la situation de madame Kuroki, mais également vecteur de changement et d'adaptation.
La présence, la prévenance et la compassion dont fait preuve Monsieur Kuroki rend également hommage à ces personnes altruistes de par le monde qui sont solidaires aux personnes vulnérables. Aux pairs aidants, aux intervenants, aux professionnels de la santé, mais aussi aux bénévoles qui oeuvrent à aider leur prochain. Ce qu'ils ont en commun est justement leur croyance que ce sont les gens qui font la différence dans les situations difficiles. Et c'est là toute la beauté de l'amour, finalement, que cette inconditionnalité et cet altruisme désintéressé, pour donner de soi, réellement. Et comme pour monsieur Kuroki et sa pelouse de fleurs, il me semble que ce sont souvent les projets en apparence les plus simples qui font souvent la différence, quand ils sont sincères et porteurs d'espoir.
C'est l'espoir qui se déploie à travers ces parterres de fleur, celui d,une vie à deux qui se poursuit, malgré les défis, avec de nouvelles perceptives. Et j'aime à penser que ces touristes qui viennent rendre visite aux Kuroki aussi amènent avec eux un peu d'eux même pour le partager avec cette madame avide d'interactions.
Le tout est servi avec des illustrations relativement épurées, avec des teintes aquarelles douces, qui collent bien au style doux lui aussi.
Une petite pépite d'espoir, d'amour et de douceur, qui me semble plus que jamais pertinent dans notre monde en proie aux conflits et à l'intolérance montante. Je vous invite d'ailleurs à aller voir les photos que l'ont peut glaner sur Internet, et dont la photo la plus récurrente semble avoir servi de modèle à la couverture du présent livre. Je le mentionne souvent, mais ici, c'est particulièrement vrai: Ce livre est aussi pertinent aux jeunes lecteurs qu'aux lecteurs adultes et aux lecteurs aînés. La littérature jeunesse n'est PAS QUE destinée qu'à la jeunesse, je le réitère.
Pour un lectorat à partir du premier cycle primaire, 6-7 ans+
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