L’ouvrage gagnerait assurément à être sensiblement plus court bien qu'il soit difficile d'en proposer un parcours abrégé dans la mesure où le début, le milieu et la fin du Journal sont nécessaires à la lecture, non en raison d’un fil narratif à peu près absent comme le veut le genre du journal (ici sous forme épistolaire, à Kitty l’amie imaginaire), mais en raison de l’évolution très caractéristique d’Anne au fil du temps (elle écrit son journal de 13 à 15 ans). Bien que pourvu de peu de valeur littéraire, le Journal permet la rencontre avec la personnalité généreuse, intelligente, vive et particulièrement réflexive de cette adolescente juive allemande de seconde patrie hollandaise qui n’est certainement pas dénuée de talent. La force essentielle du livre tient évidemment à ce que l’on sait en creux de la suite de cette tranche de vie : l’arrestation par les Nazis, la déportation à Auschwitz, la séparation des autres clandestins, le typhus et la mort à Bergen-Belsen quelques temps après Margot. Rien ne montre mieux l’arbitrarité du crime de masse perpétré par les Nazis contre le peuple juif que les pensées intimes et la vie singulière d’une jeune fille juive entre 1942 et 1944, pleine de talent, d’appétit de vie et de promesses, avant son arrestation, sa déportation et son assassinat dans les camps parmi des millions d’autres anonymes. En outre, la cache des clandestins (les Frank et les Van Pels appelés Van Daan dans le Journal) est tout sauf anodine : l’Annexe est une portion d’immeuble de deux étages (les deuxième et troisième étages) inutilisée dans la fabrique d’Otto Frank et d’Hermann Van Pels, transformée en cachette avec le soutien des quelques employés. Dans ce petit univers de 75 m2, les huit clandestins vivent un remarquable huis clos qui permet à Anne Frank d’épingler tous les travers et toute la précarité d’une véritable comédie humaine en condensé que les Nazis balaieront avec la même indifférence que tout le reste, au mépris de toute vie et de toute humanité.