Classique de la littérature, Le Journal d'Anne Frank est pour ainsi dire devenu une référence, un livre facilement lu et qui rapporte de manière on ne peut plus fidèle la vie des clandestins durant la Seconde Guerre Mondiale. Intéressant à étudier à un jeune âge, et agréable à (re)lire plus tard, la jeune Anne Frank livre ici une œuvre sincère, et l'attachement qu'on ressentira vis-à-vis d'elle ne peut s'expliquer que par cette simplicité et ces émotions pures et authentiques qu'elle transmet via son journal.
Le journal, écrit au jour le jour, permet une proximité avec l'auteur qu'on peinera à retrouver dans les autres genres, notamment dans l'autobiographie. Ici les faits ne sont pas erronés par une mémoire qui flanche, les opinions ne sont pas reniées après réflexion : cette réflexion, nous la suivrons en temps réel, tandis que les idées d'Anne changeront. L'instantanéité du genre nous permet d'observer des changements dans l'esprit de la jeune fille. On la voit grandir, murir, passer de l'enfance, à l'adolescence, et même avoir certaines idées d'adultes dans une maturité intellectuelle précoce.
Dire sa vérité
Son récit se divise en plusieurs parties, capables de se mêler à certains passages. La description de sa vie quotidienne en tant que clandestine, son ressenti sur cette-dernière et sur les gens qu'elle fréquente, et enfin la guerre, moins représentée, dont elle fait une courte description avant d'expliquer les effets qu'elle à sur elle. Le Journal d'Anne Frank est presque entièrement subjectif, c'est évident. Anne note chacune de ses pensées et porte des jugements qu'elle-même reconnait sévères sur les autres clandestins ainsi que sur sa famille. Elle dit tout ce qu'on n'oserait pas dire en temps normal, avec une franchise déstabilisante et quelquefois brutale.
Le récit peine souvent à avancer, au point que des moments d'ennui se font clairement sentir. Or, impossible de reprocher les défauts scénaristiques car le scénario est défini par le cours des événements, et est donc tout à fait incontrôlable. Sachant que son journal n'était au départ destiné à personne, on ne peut blâmer Anne qui ne fait rien pour éviter les longueurs. Elle se contente de raconter sa vie et ne maitrise pas la trame qui en ressortira, mais parvient à rendre le tout largement supportable en variant les sujets.
L'Anne qu'elle était
En plus d'avoir un don pour l'écriture, la jeune Anne avait un esprit critique étonnant à son âge. C'est encore ce qui est le plus frappant chez elle : elle ne se contente pas de décrire, elle interprète, elle commente, développe, explique, argumente, examine et évalue. Elle porte des jugements pertinents sur divers sujets, tant de façon explicite qu'implicite : elle donne son avis sur la guerre, la religion, la jeunesse, l'éducation, mais aborde bien d'autres thèmes de manière plus complexe par le biais des caractères des individus qu'elle côtoie au quotidien. Elle explore, peut être même inconsciemment, les relations entre une mère et sa fille, entre sœurs, entre un père et sa fille, entre des gens forcés de cohabiter 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et ce pendant plus de deux ans. Le plus impressionnant reste la faculté d'Anne à se juger elle-même : elle parvient à soulever ses qualités et ses défauts ainsi que cette capacité qu'elle a de se considérer avec un regard extérieur. Elle sait qui elle est, elle connait tout son être, sait mieux encore qui elle voudrait être, et les faux-semblants dont elle use pour ne pas avoir à souffrir l'incompréhension des autres face à sa personnalité.
Son génie comme sa mort
Le 4 août 1944, les huit clandestins vivant dans l'Annexe sont arrêtés. Ils périront tous dans les camps, à l'exception d'Otto Frank, le père d'Anne, qui souhaitera exaucer le vœu de sa fille en faisant publier son journal. Bien qu'elle ait marqué les mémoires, l'histoire d'Anne Frank reste une douloureuse cicatrice qui ne cessera de nous rappeler de quelles horreurs l'humain est capable.
Ce qu'il y a de plus bouleversant n'est pas tant la mort de la jeune Frank, aussi tragique que soit cette disparition. Anne était (ou du moins se montre dans son journal) comme une jeune fille pleine d'espoir : dès le début de sa clandestinité, elle parle déjà de libération, de fin de la guerre et de retour à la normale. En considérant la suite des événements, cette conviction et cet optimisme en deviennent déchirants. S'ils se font plus discrets vers le milieu du récit, reflétant ainsi le désespoir qui s'empare de la narratrice, ils refont surface dans les dernières pages, et semblent placés là intentionnellement, juste avant un dénouement dramatique. Les derniers mots d'Anne Frank, remplis de sens et de raison, résonnent tandis que toute son âme coulant de sa plume est interrompue par la mention "Ici se termine le journal d'Anne Frank". L'image qui nous viendra sans peine, c'est celle d'un oiseau qui, prenant son envol, aurait été fauché par une balle marquée d'une croix gammée.