Une salle entière, qui ne se doute pas de ce qu’elle s’apprête à voir. Le logo Warner s’affiche, il a quelque chose de différent : le W doré a pris une teinte bleutée, et on comprend dorénavant que Dunkirk n’est pas un film ordinaire. Très vite, le calme apparent est brisé par des coups de feu soudains. On sursaute comme on le fera à plusieurs reprises durant le film, qui ne nous laissera aucun répit. Le temps prend son emprise sur le film, un tic-tac incessant s’installe. Une semaine, un jour, une heure ; la jetée, la mer, les airs. Les trois lieux étroitement liés entre eux sont les seuls décors de l’action, ce qui ne les empêche pas d’être magnifiques. Les plans qui se concentrent sur l’océan s’étendant à perte de vue, sur l’immense plage de Dunkerque où piétinent des centaines de milliers de soldats, sur les cieux et le ballet qu’y dansent les avions de chasse, tous sont sublimés par la teinte bleutée que Nolan a choisie pour nous en mettre plein la vue. D’un point de vue visuel, Dunkirk est à la fois pur et grandiose, une vraie beauté.
Qu’est-ce qui est important dans Dunkirk ? Sûrement pas ses personnages ni ses acteurs, même son scénario semble largement secondaire. Comme beaucoup de mes éclaireurs l’ont remarqué (et l’expliqueront mieux que moi), Nolan décide de ne prêter aucune importance aux protagonistes, à leur histoire : ils sont des messieurs tout-le-monde, et peu importe qui ils sont car la guerre touche n’importe qui. En effet, en sortant de la salle, on est incapables de ressortir ne serait-ce qu’un seul nom, et même les visages s’effacent rapidement. Le fait est que le jeu des acteurs importe peu, à tel point qu’on serait hypocrites en disant que leurs performances sont de qualité. On ne peut dire que Tom Hardy, Cillian Murphy, Mark Rylance, Kenneth Branagh, Harry Styles (et j’en passe), jouent bien, ni même qu’ils jouent mal, car ça n’a aucune importance et le film ne laisse pas de doute là-dessus. Même l'"absence" des ennemis, qu'on ne voit jamais vraiment, suggère que le danger est invisible, à la fois nulle part et partout. Quant au scénario, il n’est pas non plus primordial, et sa simplicité en témoigne. Dunkirk n’a pas de trame à proprement dit, c’est juste de la survie intensive, sans coupure, qui s’enchaine et qui semble ne jamais s’arrêter. J’ai même ressenti de la longueur dans ce film, mais c’est une bonne chose.
Et c’est ici que les choses se compliquent : je vais tenter de vous expliquer mon ressenti, si tant est que je le comprenne moi-même. Si je vous disais que Dunkirk est lourd, long, et n’a rien d’agréable (à part peut-être son visuel), vous penseriez que je n’ai pas aimé ce film et ça pourrait être juste. Si maintenant je vous disais que c’est par tous ces aspects "désagréables" que Dunkirk est une réussite totale, comprendriez-vous ? Pour moi, non seulement Dunkirk n’est pas un divertissement (ce qui est logique), mais en plus il n’est pas un plaisir. Je pourrais presque le qualifier de film "déclencheur de masochisme" : Dunkirk nous malmène, il nous fait souffrir, et c’est pour ça qu’on l’apprécie. Ce sentiment se traduit par l’état des spectateurs dans la salle : de longs soupirs, on est presque prostrés, et on prierait pour que ça s’arrête si on ne prenait pas plaisir à subir cette tension insoutenable.
Pourquoi souffre-t-on autant ? La tension de ce film est tout simplement incroyable, elle garde une intensité extraordinaire du début à la fin. C’est là l’un des principaux atouts du film, car tout réside dans son ambiance. Celle-ci est primordiale, et de multiples éléments s’affairent afin de la souligner et de la rendre encore plus pesante, stressante, écrasante, étouffante, oppressante et cruellement réaliste. Les décors ainsi que le style de Nolan font qu’on a l’impression d’y être, et renforcent ce sentiment terrible. Mais il y a autre chose, qui n’est pas négligeable, et qui permet au film d’adopter une atmosphère immersive : la musique.
Elle n’est là que pour accompagner le film : si on l’écoute séparément, et encore plus si on l’écoute sans avoir vu l’œuvre qu’elle épaule, on ne peut pas vraiment l’apprécier. La musique dépend du film, elle ne vit que pour lui. Elle y tient un rôle important car souligne la notion du temps qui passe (souvent les sonorités se répètent et donnent l’impression que les personnages ne sortiront jamais de cet enfer) et rend l’atmosphère de cette survie à grande échelle encore plus tendue. En ce sens, Hans Zimmer réalise un tour de force.
On a donc affaire à un excellent film, plein de souffrance et de réalisme, très esthétique, dans lequel le temps, très souvent symbolisé par la musique, tient une place importante. Il parvient à transmettre des sentiments forts et à mettre quelques valeurs fortes en avant (comme la solidarité), même si cet aspect du film est très secondaire. Christopher Nolan dresse ici un tableau de la guerre terrifiant, oppressant, et terriblement proche de nous : son film est excellent là où ça compte.
8,5/10