Il est forcément délicat de parler de ce témoignage en prenant du recul, sachant le dénouement plus que tragique qu'a connu cet épisode de la vie des Frank. Néanmoins, je ne suis convaincue ni de la qualité littéraire de ce livre, ni de la nécessité de le faire lire aux adolescents d'aujourd'hui.
Pour ce qui est de la littérature proprement dite : ce journal n'avait pas vocation à être publié et Anne Frank n'a pas cherché véritablement à faire œuvre d'auteur. Elle s'en est servi comme exutoire, comme outil de témoignage aussi, mais je ne sens pas de volonté d'auteur à proprement parler (alors que c'est déjà sensible chez bien d'autres personnes de son âge qui deviendront écrivains). Certes, elle s'exprime très bien. Et voilà tout. le lire à l'adolescence ne m'avait déjà pas passionnée, mais lorsque je me penche à nouveau dessus aujourd'hui, à l'âge adulte, je le trouve d'une grande mièvrerie.
Pour ce qui est du témoignage qui serait absolument à lire, et notamment par les adolescents, je m'interroge. Étant donné la situation d'isolement des Frank, ce journal ne révèle pratiquement rien de ce qui se passe au-dehors, donc de la guerre, de l'antisémitisme galopant, du nazisme. Pourquoi, donc, faire de ce journal un des parangons des livres sur la Seconde guerre mondiale et sur la Shoah ? On reste sur une image de l'antisémitisme et du nazisme complètement aseptisée, et c'est bien la dernière chose dont nous avons besoin pour faire un travail de mémoire.
Il me semble que nous pouvons proposer d'autres lectures à nos enfants, sinon à la place du Journal d'Anne Frank, du moins en complément, telles Un sac de billes de Joseph Joffo, beaucoup moins ennuyeux et beaucoup plus en phase avec la réalité de la guerre. Ici, l'auteur a vieilli et pu effectuer un véritable travail de mémoire et d'écriture. Et, pour les plus vieux, regarder Shoah de Claude Lanzmann me paraît bien plus nécessaire que lire le Journal d'Anne Frank.
Peut-être que si Anne Frank avait survécu, elle serait devenue un véritable auteur, peut-être qu'elle aurait transcendé cette expérience comme le fait aujourd'hui Christian Boltanski dans les arts plastiques. Nous ne le saurons jamais, puisque sa mort en camp de concentration l'en a empêchée.
L'intérêt essentiel de ce témoignage, c'est de montrer qu'un ado, même dans des circonstances exceptionnelles, reste un ado. Qu'Anne Franck, malgré son destin tragique à une époque tragique, était une ado semblable à celles et ceux d'aujourd'hui. C'est toujours ça à prendre pour les jeunes générations.