Ça commence comme un journal de bord un poil graveleux, enchaînant les récits anecdotiques sur le quotidien d'une domestique dans des familles bourgeoises où les apparences cachent beaucoup d'immondices... Je l'ai commencé avec entrain car il se lit facilement et la langue est déliée, truculente mais élégante à la fois, tout en me disant qu'on restait dans le regard qu'un homme bourgeois portait sur la condition d'une femme de chambre. On ressent à de multiples reprise le male gaze (et le bourgeois gaze, ça se dit ça ?!) de Mirbeau qui se plaît à décrire à travers la plume de Célestine, les cochonneries qu'une femme élégante ou du peuple pourrait s'adonner sans trop d'état d'âme.
Mais au fur et à mesure de la lecture, j'ai trouvé que la satire prenait des accents pamphlétaires beaucoup plus intéressants car Mirbeau se mouille : Célestine écrit des diatribes sur la conditions de sa classe économique, elle raconte son histoire et les raisons pour lesquelles elle se retrouve placée très régulièrement dans des demeures qui ne la gardent pas ou d'où elle s'enfuit.
Est-ce vraiment de ma faute, ce qui m'arrive ?... Peut-être!... Et pourtant, il me semble qu'une fatalité, dont je n'ai jamais été la maîtresse, a pesé sur toute mon existence, et qu'elle a voulu que je ne demeurasse jamais, plus de six mois, dans la même place... Quand on ne me renvoyait pas, c'est moi qui partais, à bout de dégoût. C'est drôle et c'est triste... j'ai toujours eu la hâte d'être "ailleurs", une folie d'espérance dans "ces chimériques ailleurs", que je parais de la poésie vaine, du mirage illusoire des lointains...
Difficile de ne pas penser aux femmes de ménage et autres personnels au service des nantis, qui vivent, à peu de choses près, les mêmes vicissitudes et humiliations en boîte d'intérim ou en société de placement...
La classe bourgeoise en prend donc pour son grade : mœurs dissolues cherchent domestique irréprochable, prête à accepter un droit de cuissage (= viol, intégré comme désagréable mais normal par Célestine), gages extrêmement bas, nourriture avariée et suspicion généralisée sur tout ce qu'elle entreprend. Extrême servitude du personnel, en particulier des femmes : harcelée sexuellement si elles sont jolies, humiliées à l'extrême si elles sont laides. Prostitution fréquemment suggérée et perçue comme une voie vers la liberté et unique ascenseur sociale pour ces femmes de "basse extraction" (ça me rappelle une autre époque). Cette lecture se termine donc en un formidable témoignage de la condition domestique et du délitement des classes nobles et bourgeoises, sensées dans l'imaginaire populaire, être des exemples de probité.
On ne s'imagine pas combien il y a de femmes avec des bouches d'anges, des yeux d'étoiles, et des robes de trois mille francs, qui, chez elles, sont grossières de langage, ordurières de gestes, et dégoutantes à force de vulgarité de vraies pierreuses !