Faisant suite au réputé "Bonhomme de Neige", "Le Léopard" en constitue un écho intéressant, le thème bien fatigué du serial killer étant ici judicieusement placé au coeur d'une énigme policière particulièrement riche et, il faut bien le dire, brillante. Bien sûr, Nesbø n'hésite pas à nous refaire son habituel coup de la résolution "à double détente", mais elle se justifie bien ici grâce à la construction des crimes à deux niveaux (l'acteur et le metteur en scène, comme Nesbø nous le précise judicieusement dans l'un des derniers chapitres). On appréciera la plus grande honnêteté de la narration qu'à l'habitude, puisqu'il n'est nul besoin de recourir au "truc" désagréable consistant à déconnecter au moment-clé du roman le lecteur du point de vue de Harry Hole pour mieux le surprendre (le lecteur, pas Harry...). Les aspects "humains" sont également mieux développés que de coutume, avec le décès du père de Harry, le dilemme de Kaja et l'ambiguïté de Belmann.
Alors, qu'est-ce qui fait que "le Léopard" n'est pas le chef d'oeuvre du polar qu'il devrait être ? Tout simplement une tendance nouvelle et fort déplaisante à la surenchère dans la violence, le sordide et l'horreur, qui évoque les excès d'un Grangé auquel on pense régulièrement ici, en particulier lors des détours de l'intrigue par le Congo. Il est clair que Nesbø n'a nul besoin de recourir à ce genre de recettes démagogiques, et que la fascination que nous éprouvons pour Harry ne gagne rien à le voir échapper en quelques dizaines de pages à une avalanche, une chute dans un ravin et un incendie !
Heureusement, "le Léopard" se clôt lentement et doucement sur plusieurs chapitres qui voient Harry Hole dire adieu (?) à son passé et tenter sans illusion un nouveau départ. C'est beau et rude comme les meilleures chansons tristes de Springsteen (auquel il est régulièrement fait reference dans le livre). Et cela prouve une fois de plus que Nesbø est loin d'être un simple faiseur de polars scandinaves à la mode.
[Critique écrite en 2018]