Comme il est dit un peu partout, le Llano en flammes est aride, rugueux, sec, rude, âpre, rocailleux, dur, etc. C’est à ce titre qu’on peut établir des liens avec Giono, Steinbeck ou Faulkner : hostilité de la nature, solitude de l’homme réduit à une sorte de minimum vital métaphysique, moral ou tout simplement physiologique. Je suis loin de tout avoir lu des auteurs cités ci-dessus, mais les ressemblances avec Rulfo me paraissent bien plus thématiques que stylistiques, contrairement à ce que prétend J.M.G. Le Clézio, dans une préface à l’édition française qui a par ailleurs le mérite de placer le recueil dans son contexte historique. (Il me semble y avoir un malentendu profond quant à ce qu’il appelle la langue de Rulfo.)
Incontestablement, le Llano en flammes propose une leçon d’écriture sur le thème l’art d’en dire peu pour vouloir dire beaucoup. Écrire – ou plutôt faire dire à ses narrateurs – « Ne trouvez-vous pas que ça mérite un autre petit verre ? Juste pour faire passer l’amertume du souvenir » (dans « Luvina », p. 148 en « Folio ») ou « Je m’en souviens très bien ; mais je l’ai répété tant de fois que ça devient pénible » (dans « Le jour du tremblement de terre », p. 191), c’est faire confiance au lecteur pour reconstituer ce qu’il y a autour de ces paroles arides, rugueuses, sèches, rudes, âpres, rocailleuses, dures, etc.
J’ai l’impression de radoter dans mes critiques, mais il me semble qu’il est impossible d’écrire quoi que ce soit de mauvais dès lors qu’on donne la parole à un narrateur ambigu – ce qui est le cas de tous ceux du Llano en flammes, et de ses personnages en général. Le livre est empathique dans le sens où il exige qu’on se mette dans la peau de ses personnages pour en saisir toutes les implications – par exemple comprendre ce que signifie, pour le narrateur de « C’est qu’on est très pauvres », le fait d’avoir perdu une vache et de devoir élever une fille de douze ans… (Et peut-être est-il de ceux qui sont bons pour les bons lecteurs, mauvais pour les mauvais : on spécule ce qu’on peut, comme on peut.)
On peut, certes, regretter que le recueil finisse par se répéter, les nouvelles par se ressembler – mais c’est à l’image des existences de leurs hommes. On peut aussi noter les titres des récits qu’on a préférés (dans mon cas « La Cuesta de las Comadres », « C’est qu’on est très pauvres », « Le Llano en flammes », « Luvina », « Rappelle-toi » et « Anacleto Morones »), pour les relire dans vingt ou trente ans comme on relit un classique.