Molière aime la satire, je ne vous apprends rien, ce n'est pas un scoop. Mais en cette année du 400ème anniversaire de sa naissance, j'ai eu envie, moi aussi, de me faire une petite piqûre de rire à la mode du XVIIème siècle.
Argan est un malade, un grand malade. Autant vous dire que comparé à lui, Serge Lama se porte à merveille ! Hypocondriaque chronique et incurable, névrosé jusqu'à la moelle, Argan est complètement centré sur sa personne, incarnation vivante du nombrilisme, la dupe volontaire de la Profession qui n'a aucun intérêt (financier) à le voir guérir ; Argan est une chochotte qui craint le moindre courant d'air et qui se sent aux portes de la mort s'il n'a pas eu son lavement quotidien. Par confort pour lui, cet hypocrite décide alors de marier sa fille au fils de son médecin, lui-même émule d'Hippocrate. Or la fraîche Angélique a un amoureux et usera de bien des stratagèmes pour remédier aux maux que lui impose son papounet.
Ce qui est vraiment génial avec Molière, c'est que la vérité et l'astuce viennent des serviteurs plus que des maîtres ; c'est que l'on rit franchement sans remettre en question la critique explicitement adressée à ses bêtes noires - ici les médecins et les crédules qui ingurgitent leurs drogues ; c'est la légèreté avec laquelle il traite les sujets graves. Enfin, il n'hésite pas à s'exposer lui-même au pilori comme dans la scène 3 de l'acte III, jugez plutôt :
"BERALDE
Moi, mon frère, je ne prends point à tâche de combattre la médecine ; et chacun, à ses périls et fortune, peut croire tout ce qu’il lui plaît. Ce que j’en dis n’est qu’entre nous ; et j’aurais souhaité de pouvoir un peu vous tirer de l’erreur où vous êtes, et, pour vous divertir, vous mener voir, sur ce chapitre, quelqu’une des comédies de Molière.
ARGAN
C’est un bon impertinent que votre Molière, avec ses comédies ! et je le trouve bien plaisant d’aller jouer d’honnêtes gens comme les médecins !
BERALDE
Ce ne sont point les médecins qu’il joue, mais le ridicule de la médecine.
ARGAN
C’est bien à lui à faire, de se mêler de contrôler la médecine ! Voilà un bon nigaud, un bon impertinent, de se moquer des consultations et des ordonnances, de s’attaquer au corps des médecins, et d’aller mettre sur son théâtre des personnes vénérables comme ces messieurs-là !"
Dans l'œuvre de Molière, les médecins occupent une place toute particulière. Sa première pièce fut "Le médecin volant" et sa dernière "Le malade imaginaire". Molière mourut le 17 février 1673 (très exactement un an après Madeleine Béjart disparue le 17 février 1672) à l'issue d'une représentation du "Malade imaginaire" dans laquelle il incarnait justement Argan. Pendant le jeu, il fut pris de malaises et ramené chez lui dès le rideau tombé... Il décéda dans la soirée, le sang qu'il cracha alors était tout sauf imaginaire. Une fin dramatique digne d'un grand dramaturge. Hélas, il n'avait que cinquante-et-un an.
"Le malade imaginaire" est une comédie qui comporte beaucoup de musique et de chants, ce qui en fait une farce particulièrement joyeuse et festive.
Pour le plaisir, je partage avec vous un autre extrait que j'ai particulièrement apprécié.
ARGAN
[...] Mais, enfin, venons au fait. Que faire donc quand on est malade ?
BERALDE
Rien, mon frère.
ARGAN
Rien ?
BERALDE
Rien. Il ne faut que demeurer en repos. La nature, d’elle-même, quand nous la laissons faire, se tire doucement du désordre où elle est tombée. C’est notre inquiétude, c’est notre impatience qui gâte tout ; et presque tous les hommes meurent de leurs remèdes, et non pas de leurs maladies.
ARGAN
Mais il faut demeurer d’accord, mon frère, qu’on peut aider cette nature par de certaines choses.
BERALDE
Mon Dieu, mon frère, ce sont de pures idées dont nous aimons à nous repaître ; et de tout temps il s’est glissé parmi les hommes de belles imaginations que nous venons à croire, parce qu’elles nous flattent et qu’il serait à souhaiter qu’elles fussent véritables. Lorsqu’un médecin vous parle d’aider, de secourir, de soulager la nature, de lui ôter ce qui lui nuit, et lui donner ce qui lui manque, de la rétablir, et de la remettre dans une pleine facilité de ses fonctions ; lorsqu’il vous parle de rectifier le sang, de tempérer les entrailles et le cerveau, de dégonfler la rate, de raccommoder la poitrine, de réparer le foie, de fortifier le cœur, de rétablir et conserver la chaleur naturelle, et d’avoir des secrets pour étendre la vie à de longues années, il vous dit justement le roman de la médecine. Mais, quand vous en venez à la vérité et à l’expérience, vous ne trouvez rien de tout cela ; et il en est comme de ces beaux songes, qui ne vous laissent au réveil que le déplaisir de les avoir crus.
[Acte III - Scène 3]