La haine roumaine

Le titre équivoque de l'oeuvre de Cioran annonce déjà la tournure que va prendre ce livre. Le pessimiste roumain découpe le livre en six parties :
Le mauvais démiurge, Les nouveaux dieux, Paléontologie, Rencontres avec le suicide, L'indélivré et enfin Pensées Etranglées
Variant selon les chapitres, des paragraphes longs ou des aphorismes, Emil Cioran, avec son ésthetique le caractérisant s'attaque au grand sujet de Dieu dont il traite de manière ironique mais avec un grand sérieux.

Sa verve inimitable s'attaque d'abord à Dieu lui même et à sa nature mauvaise qui serait l'essence même de Dieu selon Cioran dans le chapitre Le mauvais démiurge, il continue aussi en s'attaquant à l'une des pires créations du mauvais démiurge, nous, l'Homme. Parfois d'une effroyable lucidité, le philosophe roumain crache tout son venin sur la vie en elle-même.

Par la suite, l'auteur de l'inconvénient d'être né avec le chapitre Les nouveaux dieux s'en prend au christianisme et à ses débuts notamment et défend son prédécesseur historique le polythéisme, en faisant une éloge du paganisme, plus serviable à l'Homme selon Cioran car il est plus facile d'utiliser différents dieux pour différentes manières qu'un seul Dieu qui rend son utilisation plus difficile et plus contraignante. Il prophète à la fin du chapitre la fin proche du christianisme, dû à la perte notamment de son intolérance qui a fait sa force durant de nombreux siècles. Le philosophe prévoit l'avènement d'une autre religion remplaçant le Christianisme comme le polythéisme fut remplacé par le Christianisme.

Le Français d'adoption dans le chapitre Paléontologie part d'une visite d'un musée et de la vision d'une tête de mort qui le marquera. De ce point là, Cioran commence alors un développement sur notre fin à tous : celle de devenir un corps sans vie. "Le squelette nous incite à la sérénité; le cadavre au renoncenement". Pourquoi s'obstiner à vivre puisque nous finirons comme cette tête de mort? Un raisonnement bien cioranesque là encore.

Rencontre avec le suicide, est un chapitre où le philosophe ne s'attache qu'à parler du suicide. Cioran parle de ce dernier comme de la solution mais qu'il est difficile de passer réellement à l'acte et de savoir quand la suicide doit-il se commettre. Cioran pousse encore son raisonnement dans les lointains travers de l'existence. On ne se suicide par parce qu'on est fou mais parce qu'on est raisonné selon le philosophe.

L'indélivré quant à lui, s'occupe des problèmes que l'on rencontre durant l'existence, de la difficulté à vivre dans ce monde si problématique et si douloureux que rejette entièrement Cioran avec des paragraphes et des développements très intéressants.

Enfin Pensées étranglées qui est un recueil d'aphorismes est tout ce qu'il y a de plus classique dans l'oeuvre de Cioran, des phrases incisives qui comme le souhaite Cioran dans ce chapitre "fracassent les mâchoires". Comme d'habitude, on sent encore l'effroyable lucidité du philosophe.

Outre le caractère valable de sa philosophie, il est difficile de noter une philosophie tant on ne sait pas quelle philosophie a plus raison qu'une. Cioran exprime qu'un livre doit "éveiller un malaise" il doit "poser problème" ce qui est le cas tant la dialectique de l'auteur d'origine Roumaine peut troubler. De plus son style incisif, marginal et qui rend si mal à l'aise le lecteur rajoute de la qualité au livre et encore plus de fond à la forme.

En ce moment même, un peu partout, des milliers et des milliers sont en train d'expirer, tandis que, cramponné à mon stylo, je cherche en vain un mot pour commenter leur agonie
Cioran, Le mauvais démiurge.