Le message
6.5
Le message

livre de Honoré de Balzac (1832)

Le retour de la diligence – après Un début dans la vie. Ce court Message n’est pas moins cruel. Les deux passagers, jeunes et nettement moins fanfarons que dans Un début dans la vie, en viennent à parler de leurs maîtresses. Pas de gaffe sociale aux lourdes conséquences ici, mais un accident de la route. L’un d’eux en meurt, mais il a eu le temps de confier à son compagnon de route, inconnu le matin même, la tâche d’en avertir sa maîtresse.
Et si on veut être précis, le Message, dans sa première édition, constituait avec la Grande Bretèche l’un des deux volets d’une nouvelle intitulée le Conseil, qui reprend le modèle des récits d’après-dîner, à la façon des Mille et Une Nuits dont Balzac reconnaissait se démarquer, de l’Heptaméron, du Décaméron, ou des C*ontes de la bécasse* plus tard. (Le principe des histoires dans l’histoire est vieux comme l’Odyssée, mais je me limite ici aux œuvres dans lesquelles le récit cadre resterait bien maigre si l’on ôtait les récits encadrés.)
Le narrateur sera le messager, ce qui fournit à Balzac l’occasion de quelque art poétique (?) : « Beaucoup de choses véritables sont souverainement ennuyeuses. Aussi est-ce la moitié du talent que de choisir dans le vrai ce qui peut devenir poétique » (p. 395). On pensera, bien sûr, à tous ces lecteurs que les descriptions balzaciennes ennuient profondément. « Il faut tout dire. Au dernier buisson de l’avenue, j’avais rehaussé mon col, brossé mon mauvais chapeau et mon pantalon avec les parements de mon habit, mon habit avec ses manches, et les manches l’une par l’autre ; puis je l’avais boutonné soigneusement pour montrer le drap des revers, toujours un peu plus neuf que ne l’est le reste ; enfin, j’avais fait descendre mon pantalon sur mes bottes, artistement frottées dans l’herbe » (p. 400).
On admettra aussi que la portée poétique d’un tel passage est limitée... Or, je crois qu’il y a une ironie douce dans cette première phrase : « Il faut tout dire ». Balzac se moque, sinon de ses lecteurs, du moins de son narrateur. Poétique, cette évocation ne l’est pas au sens où nous l’entendrions, mais il faudrait avoir une intelligence sociale bien limitée pour prétendre qu’elle ne sert à rien.
Oui, la diligence chez Balzac m’a tout l’air d’être un lieu initiatique privilégié, et le personnage principal appartient à la grande famille balzacienne des jeunes hommes naïfs : « Ce fut peut-être la seule fois de ma vie que j’eus du tact et que je compris en quoi consistait l’adresse des courtisans ou des gens du monde » (p. 401). Qu’il soit le narrateur, précisément, apporte un peu de légèreté : le lecteur n’est plus en surplomb, comme il l’est lorsque Balzac plonge ses personnages dans la société de la même manière qu’il exposerait des rats de laboratoire à des rayons ionisants.
L’information délivrée dans le Message restera en filigrane : l’initiation du jeune homme passe par la compréhension de ce que les mots ne disent pas. Car en prenant la place de son ami d’un jour, le narrateur apprend l’implicite : « Il y avait cinq couverts : ceux des deux époux et celui de la petite fille ; le mien, qui devait être le sien ; le dernier était celui d’un chanoine de Saint-Denis » (p. 403). Naturellement, le lecteur fait le même apprentissage – ce qui n’est peut-être pas inutile s’il veut lire la Grenadière dans la foulée. D’ailleurs, je crois que le narrateur et le lecteur finissent par se retrouver : « Le lendemain, cette scène nocturne, confondue dans mes rêves, me parut être une fiction » (p. 407).

Alcofribas
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste La Comédie humaine en 93 répliques

Créée

le 12 avr. 2020

Critique lue 132 fois

4 j'aime

Alcofribas

Écrit par

Critique lue 132 fois

4

D'autres avis sur Le message

Le message
Alcofribas
7

Vous avez un message

Le retour de la diligence – après Un début dans la vie. Ce court Message n’est pas moins cruel. Les deux passagers, jeunes et nettement moins fanfarons que dans Un début dans la vie, en viennent à...

le 12 avr. 2020

4 j'aime

Le message
BibliOrnitho
7

Critique de Le message par BibliOrnitho

Deux jeunes gens font connaissance sur l’impériale de la diligence reliant Paris à Moulins. Ils sympathisent rapidement et échangent pudiquement sur leur maîtresse respective : âge, qualités,...

le 22 juil. 2013

1 j'aime

Le message
Phae
7

Critique de Le message par Phae

Le Message est une nouvelle de la Comédie Humaine. A ce titre, ma note sera ici très courte, rassurez-vous. De la culture Balzac à bas prix. Nous avons ici un jeune homme, qui en rencontre un autre...

Par

le 3 déc. 2013

Du même critique

Propaganda
Alcofribas
7

Dans tous les sens

Pratiquant la sociologie du travail sauvage, je distingue boulots de merde et boulots de connard. J’ai tâché de mener ma jeunesse de façon à éviter les uns et les autres. J’applique l’expression...

le 1 oct. 2017

30 j'aime

8

Le Jeune Acteur, tome 1
Alcofribas
7

« Ce Vincent Lacoste »

Pour ceux qui ne se seraient pas encore dit que les films et les albums de Riad Sattouf déclinent une seule et même œuvre sous différentes formes, ce premier volume du Jeune Acteur fait le lien de...

le 12 nov. 2021

21 j'aime

Un roi sans divertissement
Alcofribas
9

Façon de parler

Ce livre a ruiné l’image que je me faisais de son auteur. Sur la foi des gionophiles – voire gionolâtres – que j’avais précédemment rencontrées, je m’attendais à lire une sorte d’ode à la terre de...

le 4 avr. 2018

21 j'aime