Quel grand texte encore une fois d'Andrée Chedid. C'est beau, fort, puissant, poétique, violent parce que la ville dans laquelle vivent les deux amoureux est violente, quasi vidée de ses habitants qui fuient les combats et les balles. "Pour lui parler, il faut utiliser peu de mots, des mots simples, des mots essentiels, qui vont du cœur au cœur. Des mots qui se glissent, petit à petit, avec leurs consonnes, leurs voyelles dans le corps et la pensée de Marie. Des mots qui deviendront la matière de ce corps, le ferment de cette pensée, des mots à lents parcours qui traverseront le conduit auditif, atteindront la caisse du tympan, percuteront les osselets, ensuite le rocher ; des mots qui se frayeront lentement passage dans le labyrinthe de l'oreille. Des mots aimés, des mots aimants, ressentis, agrippés à l'espérance. Des mots vrais, même s'ils mentent. Des mots forgés d'amour et de promesse, même s'ils simulent. Des mots réels et fictifs. Des mots pour vivre et pour rêver." (p. 81)
Tout le texte de l'autrice est un texte qui glorifie l'amour, qui sait que c'est cela qui pourra sauver les hommes et non pas ce qu'ils produisent de pire : "Depuis l'aube des temps, les violences ne cessent de se chevaucher, la terreur de régner, l'horreur de recouvrir l'horreur. Visages en sang, visages exsangues. Hémorragies d'hommes, de femmes, d'enfants... Qu'importe le lieu ! Partout l'humanité est en cause, et ce sombre cortège n'a pas de fin." (p. 18)
Et Marie s'accroche à cette pensée que Steph va comprendre et venir la rejoindre. Elle ne veut expirer avant de le revoir, s'accroche. Toutes ses pensées vont vers lui. Et lui qui l'attend et ne comprend pas son absence, ses pensées allant vers elle. Et ce couple d'octogénaires qui préfère assister Marie plutôt que de fuir comme tous les autres, emplis d'un amour fort, toujours aussi fort qu'au début.
Un roman formidable, dans une langue tellement belle qu'il est impossible de passer à côté, comme il est impossible de ne pas lire Andrée Chedid en général. Et pour finir, cette phrase en guise d'aphorisme, tirée de la page 111 : "Comment peut-on se prendre au sérieux quand l'existence est si éphémère et qu'elle ne cesse de courir vers sa fin ?"