J'ai bien apprécié votre rapport de police, Madame Christie. Un style très littéraire et une enquête habile qui a pu être publiée en un roman qui a eu un grand succès..
Vous vous êtes même permis de créer quelques fausses pistes, de broder ici ou là sur certains points de détail, et vous avez fait un tour de force littéraire en révélant en fin de compte un coupable que personne ne soupçonnait. Belle performance mais lourde de conséquence : vous avez contraint au suicide un innocent...
Permettez-moi de me présenter : je m'appelle Scotty Valens. Avec ma partenaire Lilly Rush nous enquêtons sur les cold case et les affaires classées. Notre ami Zolo nous a laissé les clés du camion pour enquêter à sa place pendant qu'il faisait sa sieste créative. Et je n'ai pu m'empêcher d'enquêter sur cette affaire trop vite classée et d'écrire ces quelques lignes pour rétablir la vérité. Car comme beaucoup de lecteurs je me suis senti mystifié par un dénouement un peu trop malin pour être honnête. Ce rapport comporte ainsi certaines approximations qui ont conduit Hercule Poirot, détective à la retraite reconverti dans le jardinage, à l'erreur judiciaire. Mais ces approximations apparentes cachent une volonté de dissimulation de preuves. Alors que vous étiez la personne la mieux renseignée qui soit.
Ne connaissiez-vous pas mieux que quiconque la commune de King's Abott où a eu lieu le crime ? Ne connaissiez-vous pas tous les personnages de l'enquête et n'étiez-vous pas intime avec Roger Ackroyd, riche industriel et gentilhomme campagnard ? Et n'aviez-vous pas eu jusque là que des succès d'estime, avec des romans peu connus et très mal rétribués ? En 1926, à la mort de votre mère et à l'annonce par votre mari de son intention de divorcer, vous êtes au bout du rouleau, Miss Agatha ! Seul un miracle pouvait vous sauver financièrement. Et je me permets donc de vous poser la question :
Que faisiez-vous, Madame Christie, entre le 3 et le 15 décembre 1926, lors de votre disparition dont vous n'avez jamais voulu donner l'explication ?
N'est-il pas étrange que Le Meurtre de Roger Ackroyd ait été commis précisément en 1926 ? Beaucoup d'autres faits troublants ont éveillé les soupçons de spécialistes. Ainsi Pierre Bayard, professeur de littérature et écrivain, dans son essai Qui a tué Roger Ackroyd ? paru en 1998, a refait l'enquête en proposant une autre solution. Il se trompe en désignant un meurtrier différent — Caroline Sheppard — mais a compris que vous protégiez le vrai coupable. Que bien sûr vous étiez la seule à connaître, et pour cause !
Je dois reconnaître que c'est Lilly Rush qui a trouvé la clé de l'énigme. Comme l'affirmait Hercule Poirot : « Les femmes sont merveilleuses; elles inventent et, par miracle, elles ont raison. En réalité, ce n'est pas tout à fait cela. Les femmes observent, sans s'en rendre compte, mille détails que leur subconscient coordonne. Elles appellent ensuite intuition le résultats de déductions qu'elles ignorent elles-mêmes. ».
L'enquête terminée, il but une gorgée de chocolat et s'essuya la moustache.