Ce recueil de quatre nouvelles, paru en initialement en Algérie aux éditions Barzakh, fut le premier livre de Kamel Daoud publié en France en 2011 (éditions Sabine Wespieser) : à travers les monologues de quatre hommes, dans des textes d’une force poétique impressionnante, Kamel Daoud raconte, avec en filigrane toute l’histoire algérienne du vingtième siècle, la volonté de reconnaissance et de surmonter les failles du passé d’un pays meurtri, préfigurant son magnifique roman «Meursault, contre-enquête» (Actes Sud, 2014).

«Le Minotaure 504» est le soliloque d’un chauffeur de taxi, un ancien soldat qui a défendu la ville d’Alger pendant son service militaire, et qui ne supporte pas les transformations de la ville, ni l’indifférence dont il a été l’objet. Il conduit donc ses passagers sur la route d’Alger, tout en leur conseillant de ne pas s’y rendre. Se pensant transformé en monstre par cette route et sa destination fatale, l’homme fustige une attirance désastreuse pour Alger dont il fut lui-même victime, dans un soliloque halluciné et rageur contre une cité dépeinte sous les traits d’une créature sexuelle déviante.

Dans «Gibrîl au kérosène», attendant dans une foire internationale que quelqu’un vienne enfin lui parler, un officier de l’armée de l’air algérienne, ayant consacré sa vie et finalement réussi à fabriquer des avions, tente en vain de lutter contre l’indifférence envers ses machines volantes.

«Je ne suis pas un génie mais je sais fabriquer des ailes à partir de n’importe quoi. Avec du papier, du métal, des discours, des chiffres ou mêmes avec des mots. C’est donc ce peuple qui ne fonctionne pas. Il ne croit pas aux miracles. On y devient plus célèbres lorsqu’on tombe que lorsqu’on décolle. Je ne sais pas d’où ça vient. Peut-être, sûrement, du passé. Nous avons été tellement écrasés que le jour où nous nous sommes levés notre échine est restée courbée. Peut-être aussi que nous sommes allés si loin que dans l’héroïsme en combattant les envahisseurs que nous sommes tombés dans l’ennui et la banalité. Peut-être aussi que nous sommes convaincus que tous les héros sont morts et que ceux qui ont survécu n’ont pu y arriver que parce qu’ils ne sont cachés ou ont trahi.» (Gibrîl au kérosène)

«L’ami d’Athènes» est un des plus beaux textes que j’ai lu sur une course, le monologue intérieur d’un coureur algérien pendant le dix mille mètres des Jeux Olympiques d’Athènes, course qui est autant une fuite pour échapper au passé qu’une conquête de la victoire.

«J'ai compris surtout que jamais il ne fallait que je m'arrête, même si mes poumons étaient déjà deux grosses braises, qu'il me fallait aller au-delà de la ligne d'arrivée, que je ne devais pas être trompé par les applaudissements et que j'avais quelque chose à faire au bout de quelque chose à atteindre. Je me suis souvenu que je venais de trop loin pour m'arrêter ici, que je courais depuis mon enfance pour atteindre cette ville, et ma véritable course n'était pas celle des mille cinq cent mètres, ni celle des cinq mille ni celle des dix mille mètres qu'une trentaine d'autres coureurs me disputaient, chacun haletant dans son propre monde, gravissant sa propre pente, mais la course parfaite, celle que visent en secret tous les coureurs de fond, celle qui leur permet de continuer à l'infini, de ne jamais s'arrêter, de ne presque jamais mourir et dont la récompense n'était pas l'arrivée mais l'indépendance profonde, le détachement.» (L’ami d’Athènes)

La dernière nouvelle enfin, intitulée «La préface du nègre», met en scène un jeune écrivain chargé par un vieil homme analphabète de recueillir et de publier ses souvenirs, et qui les efface méthodiquement pour écrire son propre livre.
Ces quatre personnages, conscients de leurs racines, témoignent des maux du passé et des désillusions de la période postcoloniale, mais aussi de la détermination de se libérer des écrasements de l’histoire.
MarianneL
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le 12 oct. 2014

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