C’est dur de dire ça, parce que j’aime bien Tournier, mais en relisant ce Miroir des idées, j’ai repensé à cet entretien dans lequel il déclarait que le lecteur idéal a douze ans et je me suis dit que cet essai ressemblait bel et bien à ça : un truc pédagogique dans le mauvais sens du terme, un genre d’initiation aux concepts, un abrégé de philosophie pour les lecteurs au seuil de cette « sorte de décrépitude qui s’appelle la puberté » (« L’enfant et l’adolescent », p. 127 en « Folio »). Ou plutôt pour des enfants d’élite, pour les lecteurs qui étaient au seuil de la puberté dans les années 1960 ou 1970. Car ma relecture toute fraîche du Roi des Aulnes ajoute une autre cruauté : l’essai publié en 1994 paraît incroyablement plus daté que le roman de 1970. (Mettons que le Roi des Aulnes a particulièrement bien vieilli, et le Miroir des idées particulièrement mal. Qualifier la débrouillardise de « ressource assez misérable », p. 116, par exemple, est un parti pris qui n’est guère en phase avec une quelconque modernité littéraire – et ne l’était peut-être déjà plus en 1994.)
Je serais bien incapable de proposer le moindre extrait pour appuyer ces affirmations, et c’est ce qui me fait encore plus de peine.
En soi, ce bouquin n’est pas sans valeur, et serait le chef-d’œuvre intellectuel de plus d’un prétendant au Goncourt ou au Renaudot. Son ambition générale est a priori intéressante : proposer un tour d’horizon de « concepts-clés » ordonnés par paires, avec en corollaire l’idée que chacun de ces concepts, « opposé à son contraire, […] éclate ou devient transparent, et montre sa structure intime » (p. 11 et 13). Le Miroir des idées est cohérent avec le reste de l’œuvre du philosophe de formation qu’est Tournier, fournissant la matière de ses récits – rien que pour le Roi des Aulnes, on relèvera les oppositions entre enfant et adolescent, taureau et cheval, nomade et sédentaire, milieu et hérédité, pureté et innocence, droite et gauche, sans compter les compléments apportés par « La chasse et la pêche », « Le saule et l’aulne » ou « Le signe et l’image ».
Mais alors que ces concepts se trouvent dans les romans de Tournier comme en milieu naturel, véritables moteurs des récits auxquels ils apportent parfois leur dimension mythique, ils donnent dans le Miroir des idées l’impression d’être statiques, figés, comme empaillés. C’est vraiment cruel.

Alcofribas
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le 9 janv. 2017

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