C'est mon premier Sepulveda, découvert grâce au bouquiniste de la librairie Montesquieu à Agen (une crème). Je l'ai prêté, par conséquent je fais cette critique de mémoire, pardonnez les possibles erreurs.
J'ai dévoré ce court ouvrage (120 pages) en une soirée. Il permet de se plonger dans les charmes de la Patagonie, un des lieux de la chasse aux baleines, près du détroit de Magellan. Le roman tourne autour d'un mystère : qu'est-il arrivé au superbaleinier japonais que traque Greenpeace, dont on dit qu'il serait en panne après de graves avaries ? L'histoire décrit avec détail le trajet du héros à travers les passages englacés de la Patagonie, la houle, la vie quotidienne du bord, dans un vocabulaire simple et accessible. Tout en navifant, on évoque des légendes locales, comme le Cacafuego, galion rempli d'or que sir Francis Drake aurait dû laisser derrière lui, dont on perdit la trace et qui pourrait être une des sources de la légende du Hollandais volant, ou encore des histoires de mer liés aux peuples autochtones disparus (les Onas, dont on parle de la dernière femme). Il y a aussi une forme de désenchantement lié à l'industrialisation, la déforestation, etc... Globalement l'atmosphère ravira tous les fans de l'Odyssée du commandant Cousteau.
Il y a une multitude de notations sensorielles/météorologiques/ethnographiques/zoologiques très prenantes, même si le lecteur qui ne suit pas le livre atlas en main risque de se lasser de l'énumération des différents bras de mer traversés. Cela fait partie d'une forme de poésie par laquelle il faut accepter de se laisser emporter.
C'est aussi une sorte de témoignage des combats de Greenpeace dans les années 1980, avec ce personnage de capitaine japonais acharné dans sa traque des baleines, qu'on ne rencontre jamais, mais qui évoque évidemment une figure dégradée du capitaine Achab. Quelques références littéraires inévitables, comme Chatwin, mais on reste dans une écriture simple, abordable et universelle.
La structure du livre, un peu comme dans certaines BD de Pierre Christin, relève d'un mystère étiré pour arriver à un moment d'épiphanie qui fait office de conclusion. Un pur Mcguffin, car ce qui comptait, c'était indéniablement le cheminement. J'imagine qu'un acharné de la "vraisemblance" dira que tout dans le scénario ne tient pas : la peste soit de ce genre de personne.
On suit un narrateur qui parle à la première personne. Une courte première partie parle d'une escapade de jeunesse qu'il fit en 1968, à 15 ans, sur un navire marchand jusqu'à Punta Arenas, tout au sud, avant de traverser le détroit pour monter sur un petit baleinier. Le capitaine, intrigué, se laisse convaincre quand le jeune garçon leur parle de sa passion pour Moby Dick. Le héros assiste à la chasse et au dépeçage d'un cachalot, qui n'a rien de romantique. Le capitaine sait qu'il fait partie des derniers chasseurs de sa sorte et pense que c'est une bonne nouvelle.
Vingt ans plus tard, en 1988, le narrateur est devenu activiste à Greenpeace. Une curieuse dépêche de Valparaiso signale qu'une photoreporter a pris des clichés intrigants concernant un baleinier japonais que l'on croyait parti à la casse, et un mystérieux capitaine Nilssen insiste fortement pour que Greenpeace envoie du personnel sur place. Aucun navire de la flotte n'étant disponible, le héros prend l'avion. Il retrouve Nilssen, qui a une histoire colorée de capitaine au long cours, fait connaissance avec ses amis, d'horizons assez différents, retrouve la trace de la photojournaliste, dont les clichés ont été dérobés. Des gens témoignent du retour illégal des bateaux-usines japonais, qui aspirent la mer et broient toute faune sans discrimination avant de rejeter des déchets organiques méconnaissables dans leur sillage. Nillsen refuse de décrire ce qui est arrivé au bateau. Décision est prise d'aller sur place. S'ensuit un trajet aux multiples étapes, qui fait la part belle au charme et aux mythes de la Terre de Feu, mais aussi à la déforestation, à l'industrialisation.
Le mystère s'épaissit. Sur place, nos héros croisent un baleinier ainsi que beaucoup de baleines, dauphins, etc.... Un autochtone qui est avec eux tente une manoeuvre désespérée : se rapprocher du bateau-usine avec un canot. L'équipage le menace, mais les cétacés, pour le protéger, foncent sur le bateau et l'endommage gravement. Car ces animaux ne craignent pas pour eux-mêmes, mais ont l'instinct de protéger un être seul menacé par quelque chose de beaucoup plus gros. Le livre se termine abruptement sur cette épiphanie.