Le monde vers lequel nous voguons
Assez bizarrement c'est internet qui m'a indiqué ce recueil de nouvelles. En effet, client d'un site marchand du net, je suis ciblé par ce site et il m'indique, selon les choix que j'ai déjà fait par le passé, les livres, DVD et musiques susceptibles de me plaire. Comme si un simple programme pouvait me dire quels devraient être mes goûts. C'est d'autant plus amusant que c'est ce genre de sujet qui est traité dans ce recueil, comment l'humanité pourrait déléguer sa volonté à des programmes ou laisser des droits s'imposer sur le vivant. Le hasard fait souvent bien les choses, mais je dois reconnaître qu'ici un simple programme m'a fait découvrir une perle.
Douze nouvelles composent ce recueil. Deux d'entre elles : « La Fin du Big Bang » et « Eclats lumineux du disque d'accrétion » ont obtenues un prix Rosny Aîné. Et l'ensemble de ce recueil a même eu le grand prix de l'imaginaire 2006. Les textes de Claude Ecken sont souvent basés sur des faits réels ou des extrapolations scientifiques – tiens, ca me rappelle quelque chose. Il nous montre un monde futur ou un présent alternatif qui ne saurait être suffisamment différent du nôtre pour ne pas être ce dernier. Un style classique et une bonne écriture font de ses textes, des petites choses bien agréables à lire et servent admirablement à se poser quelques questions sur l'avenir de nos sociétés.
Dans « Le monde tous droits réservés » il est question d'un journalisme livré aux lois du copyright. Un journalisme où les informations se vendent et s'achètent, se tronquent, se créent, sur un marché opaque à la portée des plus riches. Une remarquable nouvelle qui dénonce les tendances actuelles des médias et qui sert de support à un complot politico-financier. Pour « Membres à part entière » nous avons affaire à un monde où une maladie a privé l'humanité de ses membres inférieurs, sauf certains, comme Legrand qui se tient encore debout mais qui voit sa normalité le priver d'une intégration sociale qui le fait souffrir. Une belle fable sur le handicap, doublée d'une histoire bien noire, comme je les aime. « Edgar Lomb, une rétrospective » nous présente la vie d'un explorateur de l'espace dans un style de SF classique et plaisant à lire. C'est dans cette même veine que Claude Ecken poursuit en nous décrivant un monde où le clonage et les manipulations génétiques sont devenues la norme et où il n'est pas si facile d'être « L'unique ».
La série de poursuit avec « Les Déracinés » qui est la vision fort réjouissante d'une société qui a décidé de confier sa technologie aux plantes. O joie des OGM, dira-t-on, jusqu'au jour où on créa les premiers hommes-plantes et où tout devint soudainement plus difficile à gérer. Une autre petite nouvelle intitulée « Esprit d'équipe » fait suite et nous décrit un monde où les clones décident de prendre la place de leurs originaux. Cela nous donne une fable bien sympathique et terriblement tortueuse. Les « Fantômes d'univers défunts » nous conte la vie de Nicolas, passionné d'astrophysique qui, avec des amis tout aussi passionné que lui réfléchissent et confronte les théories sur la création de l'univers. Peu à peu, Claude Ecken dérive vers la description des caractères et on a le sentiment de plonger dans de la littérature blanche, comme je la déteste tant. Ici, l'auteur fait montre de tous son talent d'écrivain accompli car, à quelques pages près j'aurais pu trouver ce texte fade et orgueilleux comme l'est notre si belle littérature franchouillarde qui prise plus l'intellectualisme que le contenu et le sens de la vie. Mais, par un retournement d'une adresse époustouflante, l'auteur m'a récupéré car, ce texte cache un secret qui prend peu à peu corps et fini dans une apothéose éblouissante. Un superbe rétablissement confirmé par la nouvelle suivante « La Bête du recommencement ». Mais qu'a-t-elle de si particulier cette bestiole ? Tout simplement, elle vous permet de retourner aux moments que vous choisissez dans votre vie et d'en modifier les actes et les conséquences. Merveilleux, non ? Si ce n'est qu'on peut se demander quelle peut être la saveur d'une vie tronquée.
Dans les « Eclats lumineux du disque d'accrétion », l'auteur nous énonce quelques principes scientifiques liés à ces corps célestes aux comportements mystérieux pour bien des hommes que sont les trous noirs. Il fait le parallèle avec une société futuriste où on a des actifs et des désœuvrés qui vivent dans deux environnements bien différents mais non hermétiquement clos. Cependant il est si facile de retomber dans son propre trou noir. « La Dernière mort d'Alexis Wiejack » traite d'un sujet que j'apprécie depuis bien longtemps. En effet, il est ici question de l'éternité. Une humanité que la médecine peut préserver éternellement peut-elle encore mourir ? A-t-elle encore ce droit ? Une peine pire que la mort guette ceux qui veulent échapper à la vie, mais mystère. Superbe nouvelle que j'ai dévorée d'une traite. C'est à ce moment, que Claude Ecken décide de placer une nouvelle intitulée « En sa tour, Annabelle ». De science-fiction, ici il n'est plus question. Il s'agit d'une courte nouvelle traitant de ce qu'on appelle la folie et qu'on a trop tendance à rejeter en se séparant des fous. Pourtant, Dieu sait tout ce qu'ils pourraient nous apporter, en humanité tout simplement. Un texte d'une grande émotion.
Final en apothéose avec « La Fin du Big Bang » où Claude Ecken nous invite à vivre au côté de Damien. C'est un enfant comme un autre sauf qu'il manifeste toujours une relation au réel que les adultes et plus tard la société rejette. Est-ce lui l'erreur ou notre perception qui est erronée ? Une histoire de haut vol. Bien sûr, l'auteur ne laisse pas le lecteur sur sa faim après cette dernière nouvelle. En effet, il a mis un point d'honneur à ajouter des sujets qui auraient pu être traité par lui, mais si d'autres s'en sentent le cœur ou tout simplement le courage, n'hésitez pas. Je vais sûrement m'essayer à l'exercice prochainement. C'est un recueil très agréable à lire qui mérite largement les prix qu'il a reçu. Indispensable.
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