C’est en témoin soucieux de son époque qu’Amin Maalouf lance un signal. Journaliste, l’œil grand ouvert, il a observé ce changement d’ère où les grands équilibres mondiaux ont été bouleversés et débouchent sur un risque à l’échelle planétaire : la disparition non pas d’une civilisation, mais de l’ensemble des sociétés complexes évoluées. Nul n’est épargné par ce paradoxe contemporain : développement technologique et scientifique sans précédent d’un côté, désagrégation sociale de l’autre.
L’engrenage mortel
Une pente vers la barbarie se dessine et l’humanité a aujourd’hui le choix entre le sursaut ou la plongée mortelle du Titanic vers les bas fonds. En suivant le fil chronologique du dernier quart de siècle (déclin de l’idéologie marxiste et échec du communisme, pulvérisation du nationalisme arabe en 1967, domination d’un capitalisme obscène), Maalouf retrace la montée de sociétés sans idéaux, intolérantes et en cours de fragmentation.
Un monde plus grand et désuni
À travers le prisme de son histoire au Levant, Maalouf tire avec intelligence et finesse des grandes lignes qui nous touchent désormais aujourd’hui. Ce qu’il retient de son passé, c’est une chance manquée, les pays arabes échouant à trouver un modèle intracommunautaire moderne viable et basculant dans une spirale mortifère.
Ce phénomène s’est aujourd’hui diffusé à plus grande échelle. Loin de militer pour un retour à des nations fortes, à des empires pluriethniques comme l’Empire austro-hongrois ou ottoman, Maalouf revendique plutôt la pluralité, le respect des différences, l’acceptation d’un projet commun qui dépasse les frontières étroites des ethnies et des langues.
Les coupables ?
Pour que le monde flirte d’aussi près le gouffre, il a fallu une conjonction de facteurs aggravants et de (ir)responsables : les États-Unis qui n’ont pas su gérer la rançon du succès face à l’échec de l’Union Soviétique. L’Europe qui n’a pas su employer son rôle de vigie historique. Les pays arabes qui ont sombré dans le trou noir du fondamentalisme et de la division.
L’auteur pense qu’il est encore possible de redresser la barre. Mais il y a urgence, car les fléaux modernes sont nombreux : totalitarisme par la technologie, dérèglement climatique, renouveau des potentiels conflits géopolitiques majeurs, robotisation à outrance.
Un texte essentiel, à lire absolument pour une salutaire prise de conscience.
« Les lumières du Levant se sont éteintes. Puis les ténèbres se sont propagées à travers la planète » écrit Amin Maalouf. Alors où vont les ténèbres ? Pour vous, je ne sais pas. En ce qui me concerne, j’ai bien une petite idée.
T. Sandorf