Une soirée trop arrosée ou un ego démesuré (... et souffrant d'une certaine inculture)

On se demande ce qui a pris à Cahuc et Zylberberg d'écrire ce livre. Ce n'est pas uniquement qu'ils soient méchants (au sens où je dis du mal d'autrui parce qu'il ne pense pas comme moi) - même si visiblement ils le sont- mais c'est aussi parce qu'ils déraisonnent carrément.
Ils déclarent vouloir se "débarrasser des idéologues" (vous voyez que je n'exagère pas quand je dis méchant), mais du coup, eux-mêmes sont en pleine idéologie. Ben oui, puisqu'il s'agit de traiter de "négationniste" (si si ils osent), ceux qui ne pensent pas comme eux, font de l'économie avec d'autres outils que ceux qu'ils utilisent et/ou travaillent sur des aspects de l'économie que ne sont pas les leurs (histoire des idées, épistémologie, diégèse de la discipline, et surement économie mathématique car après tout ce n'est pas de la science expérimentale). Car oui, la thèse est là: l'économie est devenue une science: une science expérimentale comme la biologie. Ben voyons! Soyons sérieux. on confond ici, le progrès des outils (réels) et de la disponibilité des données (réelle aussi) et un état final.... Je m'explique: l'utilisation des données et des techniques économétriques permettent certes de mieux tester certaines théories mais, nos chers auteurs semblent ignorer:
1) que lorsqu'on fait des modèles économétriques on choisit les variables (données) disponibles et que bien souvent on prend des proxy (des variables que l'on considère comme approchantes de la bonne variable dont on voudrait disposer). D'ailleurs, nombre d'articles ne sont que de nouvelles versions des tests sur des jeux de données nouvelles qui valident/invalident les résultats antérieurs. Cahuc et Zylberberg ne sont pas très honnêtes en oubliant de parler dans leur livre des meta-survey (des revues de revue de littérature) qui sur tous les thèmes de l'économie recensent les divergences entre les résultats empiriques. D'ailleurs, un directeur de thèse recommande en général à ses thésards de lire en premier ces meta-survey pour que le doctorant se fasse une opinion des techniques et résultats en cours, et pour que le doctorant parte dans une direction nouvelle. Au passage, bien souvent quand vous écrivez un article économétrique dans une revue, les évaluateurs de l'article vous font remarquer qu'ils manquent telle ou telle variables et/ou que telle technique serait plus pertinente, et une grande partie de nos réponses pour faire passer le papier consiste à leur dire 1) combien ils ont raison, 2) pourquoi on ne peut pas 3) que ça fait parti des prolongements possibles que l'on laissera à d'autres le faire. Là encore, de quoi relativiser la dimension absolue des résultats énoncés (démontrés?).
2) Côté technique justement, nos deux auteurs semblent aussi nier que les techniques progressent. L'économétrie pure -ie, la création de nouvelles techniques mathématiques fondant l'économétrie- qui est aussi une discipline de l'économie fait aussi des progrès. Autrement dit, ce qu'un jeu de données aujourd'hui avec une technique économétrique d'aujourd'hui donne comme résultat, sera peut-être invalidé avec une autre technique économétrique demain. Comme le disait une des mes collègues brillante pure économètre, donne-moi des données, donne-moi le résultat que tu veux, je te fabriquerai le modèle économétrique qui y parvient (euh, non, je blague pas, c'est dixit). Cela ne veut pas dire qu'il faut jeter le bébé avec l'eau du bain, mais il faut être plus humble que ce que nos deux auteurs l'affirment.
3) pami les gens qu'ils semblent exécrer: les économistes littéraires. Le souci est que Cahuc et Zylberberg semblent ignorer l'histoire de leur discipline. La plupart des données n'existent pas avant que quelqu'un ait pensé i) qu'elles pourraient exister, ii) comment il faudrait faire, iii) que des chercheurs/organismes privés/instituts statistiques estiment que la question est suffisamment pertinente pour mettre en oeuvre les moyens d'enquêtes qui permettent de fabriquer lesdites données. Bref, la discipline a besoin des économistes qui ne font pas comme eux (de l'économétrie appliquée), sinon, c'est la sclérose assurée de la discipline.
4) je me demande si nos deux auteurs ont déjà i) regarder de près les questionnaires envoyés eux entreprises, ii) discuter avec les personnes qui remplissent ces questionnaires. Si c'est le cas, ils devraient savoir que les sources sont relativement fragiles en dépit des progrès -remarquables - réalisés grâce au croisement des sources de données (notamment administratives) et être plus prudents sur la notion de loi.
5) car oui, les résultats obtenus par l'économie aurait le statut de loi nous disent-ils. Mais savent-ils ce qu'est une loi? C'est une relation causale inaltérable dans un environnement donné. Euh, le souci est dans la fin de la phrase. Le corps social et sociétal est l'environnement de l'économie. Il est donc idiosyncrasique à chaque environnement institutionnel et en évolution dynamique perpétuel. Et donc, la notion de loi n'a tout simplement pas de sens. On a des résultats qui nous guident sur la compréhension de ce qui se passe à l'instant t dans l'espace x, mais de là à parler de loi.... on va encore ridiculiser l'économie auprès des autres sciences


Pour conclure, l'économie essaie d'avoir une démarche scientifique. Elle a fait des progrès dans ce sens. Mais ce n'est pas en critiquant les collègues qu'on avance et ce n'est pas en disant des énormités que l'on va éviter de se faire moquer par les autres disciplines. Un livre qui au total fait bien du mal à la cause qu'il prétend défendre. Alors, messieurs Cahuc et Zylberberg, vous aviez abusé de Rosé quand vous avez écrit ce livre?

LockeLamora
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le 19 sept. 2016

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