C'est un bon roman, mais pas mon Conrad préféré. C'est un de ceux qui se centre le plus, de mon point de vue, sur l'équilibre psychologique au sein d'un équipage.


Le roman se divise grossièrement en trois parties. En gros, si vous ne voulez pas lire, cela parle des soupçons qui divisent un équipage le temps d'une traversée.


La première partie est l'embarquement de l'équipage sur le Narcisse, un voilier dont l'itinéraire me laisse un peu songeur, car il part de Bombay, passe le Cap de Bon Espérance, arrive aux Açores avant de regagner Londres. Il y a le capitaine, Allistoun, un taiseux à la barbe blanche ; le second Baker ; l'enseigne Creighton, un jeune aristocrate ; le cuistot, le charpentier, et divers hommes d'équipage, parmi lesquels le vieux Singleton, un grand sec, taiseux aussi et revenu de tout. L'appel a lieu, mais il manque un homme. Il se présente au dernier moment : c'est James Wait, un Caribbéen à l'attitude hautaine.


La deuxième partie se passe en pleine mer. On comprend que Wait est isolé dans l'équipage : profondément malade, il doit garder la chambre. Il se trouve que le bateau traverse une tempête homérique, dont la description est un véritable tour de force littéraire. Pendant cette tempête, de ce que j'ai compris, le bateau se couche sur le flanc et manque de sombrer, mais le capitaine s'oppose à ce qu'on coupe les mâts. Des hommes risquent leur vie pour aller chercher Wait, enfermé dans sa chambre. Il n'en semble pas plus reconnaissant que ça.

La troisième partie relate le difficile retour au port. L'équipage est profondément divisé concernant Wait. Donkin, un mauvais marin très revendicatif, instille son poison en suggérant que Wait simule sa maladie depuis le début pour être payé à ne rien faire. Le scélérat va plus loins en suggérant qu'il faudrait faire de même, ou en tout cas se rebeller pour avoir droit à de meilleures conditions de travail. Le cuisinier, pour sa part, est obsédé par l'idée de convertir Wait avant qu'il ne meure. L'équipage se divise, des incidents ont lieu. Après avoir été menacé dans la nuit, le capitaine convoque sur le pont les mutins et fait un exemple en humiliant Donkin. En arrivant aux Açores, Wait rend l'âme. Son cadavre est jeté à la mer (difficilement), et l'équipage se sépare à Londres. Donkin prend une mauvaise évaluation.

On dit souvent que Melville peint la mer tandis que Conrad peint les marins. Je ne suis pas complètement d'accord. D'abord parce que les notations sur la météo et la mer sont d'une précision qui transpirent l'expérience à chaque syllabe. C'est quasiment documentaire.Ensuite car je n'ai pas trouvé les personnages brossés de manière particulièrement fine dans ce roman. On comprend assez bien à quel archétype on a affaire, et le personnage de Donkin, véritable bolchévique avant l'heure, est particulièrement stéréotypé, avec même des détails physiques (sa saleté, son profil d'oiseau, sa perfidie) qui frisent même l'antisémitisme (après tout, Conrad est Polonais). La faiblesse réside de mon point de vue que Conrad regarde son histoire à travers les yeux d'un commandant de bord. Il n'a pas encore cette vision détachée que l'on trouvera dans la Folie Almayer et ses oeuvres suivantes.


L'aspect le plus réussi est l'incertitude constante quant à ce qui se passe : Wait est-il vraiment un simulateur ? C'est ce qu'il semble avouer à Donkin, pourtant il n'a pas essayé de s'enfuir de sa cabine pendant la tempête. Est-il réellement malade ? C'est ce que de nombreuses descriptions ont l'air de suggérer. De quoi meurt-il à la fin ? De maladie, d'un sentiment d'absurdité lié à son imposture ? Comment interpréter ce qui a été la réaction du capitaine, qui lui annonce qu'il ne serait pas payé car il simule : est-ce pour faire sciemment éclater la révolte qui couve et pouvoir la traiter ? Que croit-il ? Même les propos du vieux Singleton, qui semble doté de préscience, ou à tout le moins de sagesse, reste difficiles à interpréter.


Cette ambiguïté permanente (rappelons que Conrad a également écrit un roman d'espionnage), et le passage de la tempête sont les deux grandes forces de ce roman, qui pourtant manque à mon sens de profondeur et d'unité si on le compare à ce qui vient après dans l'oeuvre de l'auteur.

zardoz6704
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le 31 déc. 2024

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