Tout ou rien...
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En 1967, Thomas Berhard est hospitalisé au Baumgartnerhöhe, au pavillon Hermann, réservé aux opérés du poumon. Il apprend qu'en face, au Steinhof, est interné Paul Wittgenstein, le neveu du célèbre philosophe autrichien. Il caresse le projet de le voir, mais ne trouve pas le courage d'aider son ami.
Ce court roman, que m'a prêté un collègue pour une raison que j'ignore, partage pour moi beaucoup de points communs avec certains romans de Beckett. Tout d'abord il n'a pas de découpage en chapitres, mais forme une sorte de long paragraphe de 130 pages. La narration, faite de va-et-vien chronologiques, évoque le monologue intérieur de l'auteur, perdu dans ses réflexions.
L'ouvrage traite beaucoup de la folie, de l'amitié (comme le suggère le sous-titre), de vieillissement et du décalage progressif entre nos attentes, nos rêves et ce à quoi la société nous cantonne. Le narrateur lui-même est un être à la fois doté d'une grande sensibilité littéraire, d'un tempérament fielleux à l'égard des autorités du milieu lettré viennois et d'une absence totale de sens des conventions de la vie en société. Au passage, voici encore un livre à charge contre l'absurde utilisation des traitements par électrochoc.
Ha, et Wittgenstein ? Le titre pouvait laisser espérer une sorte d'adaption au XXe siècle du Neveu de Rameau, cette oeuvre fascinante de Diderot, mais il n'en est rien. A aucun moment dans le livre, nous n'aurons droit à un entretien suivi de Bernhard et Paul Wittgenstein abordant de grands sujets philosophiques. Le contenu de leurs entretiens reste délibérément hors de notre portée. N'espérez pas non plus en apprendre beaucoup sur la famille Wittgenstein, en dehors du fait qu'il s'agissait d'une dynastie de grands bourgeois qui considérait Paul et son oncle comme des anomalies plus que comme une fierté.
C'est aussi une histoire de lâcheté. Celle de l'auteur, qui reconnaît avoir fui son ami lorsque ce dernier s'est laissé dévoré par la folie au point de devenir de plus en plus isolé et déstabilisé.
J'ai bien aimé deux choses : tout d'abord le fait que le livre s'efforce de retracer une amitié, faite principalement de discussions littéraires et philosophiques, mais sans chercher à en délimiter le contenu, comme lorsqu'on écoute le ton d'une personne, sans faire attention au contenu de ses paroles. On s'identifie facilement à ces deux dilettantes qui aiment traîner au café et laisser ainsi le temps de leur vie s'écouler.
Le livre est aussi, de manière impressionniste, une sorte de petit guide topographique du milieu littéraire viennois. La narration évoque de nombreux toponymes, dans et hors de Vienne, décrit en détail certains cafés viennois, avec leurs avantages et leurs inconvénients,.. Il faudrait lire le livre avec une carte de Vienne et ses environs pour bien en profiter. Je n'ai pas fait cet effort mais je sais que si un jour je visite Vienne (où je n'ai fait que passer quelques heures), il faudra que je m'y replonge. J'ai beaucoup ri en lisant le récit de cérémonies de remise de prix littéraire ou de lancement de pièces ratés.
Le style est délibérément antilittéraire, notamment au début. L'auteur répète souvent plusieurs fois la même pensée, comme si elle tournait dans son esprit, ce qui donne un style volontairement laborieux qui personnellement me fait rire.
Le neveu de Wittgenstein est, à travers le récit d'une amitié avec un homme atteint de troubles psychiatriques, une plongée impressionniste dans la Vienne littéraire, mais n'en attendez pas beaucoup plus.
Créée
le 11 févr. 2018
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