Mór Jókai, auteur né en 1825, m'évoque à travers ce roman (le seul que j'aie pu lire jusqu'à présent) un Eugène Sue hongrois.
(Attention, spoilers)
La Campagne hongroise vers 1850.
Le récit nous offre un rapprochement entre un vieux seigneur du crû très appauvri et esseulé (son seul héritier est prisonnier du régime), condamné à vivre hors du monde sa résistance passive après avoir soutenu la révolution nationaliste de 1848 contre l'Aigle Bicéphale, et le "Nouveau Seigneur", bien dolichocéphale celui-ci, récemment installé sur ses terres par un concours de circonstance et s'étant battu dans le camp opposé...
Nos deux compères, d'abord dans un simple souci d'apaisement puis par par une étrange compatibilité de caractère et de valeurs, vont peu à peu se rapprocher, s'estimer et s'entraider, malgré les nombreux pièges et chantages tendus entre eux par des banquiers grippe-sous, des filous, et d'autres engeances malveillantes.
La manière dont ces calculs et micro-complots se retournent régulièrement contre leurs initiateurs fait d'ailleurs partie du comique de ce roman d'apparence légère, aussi réconfortant que dramatique.
Alors on voit là le côté Eugène Sue (avec une dimension sociale bien moindre, plus politique), avec ces deux seigneurs au grand cœur, proches du peuple et d'une nature absolument bienveillante, secondés l'un par son neveu, l'autre par sa fille, deux autres cœurs nobles et rebelles qui trouveront bientôt, à force d'entraide et de risques pris pour le parti de l'autre, un miroir dans lequel sceller officiellement l'alliance entre les deux familles.
Et puis il y a ce doigt d'honneur à l'Empire, et en filigrane ce regard paternaliste sur le monde campagnard, certes dépassé, mais qui reste très doux puisque c'est ce qui faisait de plus démophile à l'époque. La volition de l'auteur reste des plus positive.
Un bon roman d'époque, pertinent et agréable à lire.
Certainement utile pour appréhender l'état d'esprit de la Hongrie avant l'éclatement de l'Empire.