Critique de Shaynning
Second opus de la série qui a gagné le Prix des Libraires du Québec dans la catégorie BD étrangère, "L'ombre de l'oiseau" est plus sombre et profond, mais prend place dans un monde plus élaboré,...
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le 23 oct. 2022
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Incontournable Février 2022
Ce roman états-unien est une réécriture de la célèbre "La petite Princesse" ou "Princesse Sara" de Frances Hudgson Burnett, surtout dans sa forme. Si comme moi vous avez lu le roman de Burnett, vous verrez sans difficultés les nombreux emprunts et la rhétorique similaire, mais si ce n'est pas le cas, ce n'est pas bien grave.
D'abord, quelle belle couverture! Elle est signée Geneviève Godbout, illustratrice québecoise a qui l'ont doit de nombreux albums jeunesse, dont la sympathique trilogie inspirée d"Anne aux pignons verts". le seul hic est que le choix de palette en violets risque de rebuter les garçons les plus genrés, mais bon, on travaille fort pour diminuer les préjugés chromatiques en librairie, croyez le bien!
Donc, qu'avons nous côté histoire? Comme c'est une réécriture - Merci à l'autrice de ne pas s'en être cachée, d'ailleurs - on retrouvera dans cette histoire la prémisse de base de la princesse Sara, à la différence que nous sommes aux États-Unis, au début du 20e siècle, plutôt que dans le Londres industrielle de la même époque, avec les particularités sociales associées. Quelque part sur l'île de Manhattan, nous nous retrouvons dans une école pour la fine fleur de la jeunesse féminine d'Élite, à ceci près que cette pompeuse élite est "magique". Tout comme dans "Princesse Sara", l'école austère est tenue par une froide et avare femme d'affaire aussi insensible qu'hypocrite, épaulée de sa cousine ( plutôt que sa soeur) et d'une cuisinière revêche. Dans ce New York cosmopolite encore profondément inégal socialement, les très riches s'arrogent le pouvoir de la "flamagie", en imposant aux enfants moins nantis le rejet de leur héritage magique et en envoyant leur progéniture dans de somptueuses écoles de magie. le père de la jeune Emma en est justement le digne produit. Ce dernier étant un magitecte ( architecte magique) toujours en mouvement, il choisit de placer sa fille adorée dans une école pour cette année charnière de 12 ans, où les jeunes riches "s'embrasent" de leur magie - contrairement aux pauvres, qui y renoncent définitivement, faute de pouvoir la contrôler et faute d'avoir apprit le rituel de passage. Mais si le début des études d'Emma ressemble à un conte de fée où elle a des amies, mille cadeaux somptueux et une meilleure connaissance de ses pouvoirs, un séisme secoue San Francisco et son père y trouve la mort. Ruinée, seule au monde et privée du Droit d'apprendre la magie, Emma devient du jour au lendemain servante dans sa propre école, rejetée de ses amies et privée de toutes ses possessions matérielles. Mais de cette spectaculaire chute sociale va naitre une amitié improbable entre elle et Izzy, jeune domestique farouchement décidée à apprendre la magie et retrouver la petite soeur qu'on lui a enlevée. À travers les rencontres, les découvertes et les interdits bravés, les deux filles font éveiller bien plus qu'une réelle amitié: elles ouvrent la voie à une révolution sociale d'égalité magique pour tous.
Comme vous le voyez, la base est assez exactement la même, que ce soit pour le contexte ou même les évènements majeurs tels que le décès du père d'Emma, la vie domestique à la limite abusive par une directrice cruelle, la résistance qui s'organise autours de la petite bourgeoise et même la fameuse scène vers la fin où les deux filles ( Emma/Izzy- Sara/Becky) se retrouve dans une chambre luxueuse où elle trouve un festin. Les clins d'oeil sont nombreux, notamment le bijoux de famille de Sara/Emma qu'on lui retire, la jeune fille qui vend des fleurs et qui se verra offrir un présent offert de manière altruiste par Emma/Sara et même le grenier où elles résident dans leur livre respectifs est sensiblement le même. En revanche, on n'aura pas la dimension indienne de l'oeuvre originale, car c'est un sujet typiquement britannique, qui avait des possessions en Inde occidentale. Néanmoins, on a troqué l'exotisme des Indes par celui des immigrants européens en sol américain.
La plupart des personnages sont également inspirés de ceux de Burnett. Dans le rôle de la petite bourgeoise altière, empathique et gentille, nous avons Emma Harris ( Tiens, un prénom sans doute inspirée de la poupée "Émilie") et dans le rôle de la jeune domestique exploitée, nous avons la rousse Isabelle O"Donnell, fille d'immigrants irlandais au tempérament volcanique et déterminé.
Même l'adorable Ermengarde trouve un alter ego avec le personnage de Fanny Finamel, toute aussi timide, bienveillante et ayant es difficultés avec la scolarité. Ici, Fanny semble dyslexique.
La jeune snobinarde et superficielle Lavinia s'incarne dans le personnage de Beatrice Disdegno, aussi brune et insupportable que dans le roman d'origine. Seule Lottie n'est pas vraiment là ( La petite pensionnaire très jeune qui simulait des crises monstres, vous vous en souvenez?)
Enfin, on a aussi le détective pour faire écho au voisin de l'école qui cherchait Sara. le détective Missive est incroyablement incapable de se souvenir des noms, c'était amusant.
Néanmoins, au registre des personnages nouveaux du roman, on retrouve le jeune Tomas Sabetti, également âgé de 12 ans, fils d'une famille italienne des quartiers pauvres et cadet d'une fratrie composée de 5 enfants. Il vend des journaux, mais il aimerait devenir journaliste politique pour dénoncer les inquiétés sociales de ce pays pourtant supposé être "La terre de la liberté". Tomas est également l'un des premiers personnages que je croise qui est le seul garçon d'un quatuor majoritairement féminin. Il va se retrouver impliqué dans les projets secrets d'Emma, Izzy et Fanny de s'embraser sans la permission de Mlle Lignage, les trois premiers parce qu'ils n'ont pas le statut social, la dernière parce qu'elle n'arrive pas à faire le cursus scolaire.
Enfin, on a le très notable et incontournable Figgy Pudding, chat noir en apparence, dragon de maison en réalité. Cet être magique est un gardien de maison et connait bien l'Histoire de la magie. Son aide et son soutient est majeur dans l'entreprise risquée des enfants. C'est d'ailleurs lui que l'on peut voir sur la couverture, dont l'ombre trahit sa véritable identité. Chat parlant amateur de sauces, Figgy m'a fait pensé à ces chats intellectuels de la trilogie du "Paris des merveilles" ( une bonne série que je vous invite à voir de plus près, classée adulte).
On retrouvera quelques trucs véridiques dans le roman, notamment les évènements entourant "l'enlèvement" de Maeve, la petite soeur d'Isabelle/Izzy. Au tournant du 20e siècle, le nombre élevé d'orphelins sur la côte Est américaine et le besoin criant de mains d'oeuvre pour coloniser l'Ouest se traduit par une initiative aujourd'hui décriée et condamnée: Les "Trains des orphelins", dont vous trouverez d'ailleurs une série BD et quelques romans sur le sujet. On envoya des dizaine de milliers d'enfants "orphelins" ( mais pas tous) vers les états de l'ouest, mais ne vous faite pas d'idées: Ces enfants étaient peut-être "adoptés", dans les faits, ils ont été majoritairement exploités, échangés et maltraités. On a fait "commerce" de ces enfants dont personne ne voulait. Un pan obscure de l'histoire des USA.
Cet univers a en outre une différence notable quand à son genre. Contrairement à la "Petite princesse", "Le pacte magique" est un univers fantastique où la magie est au coeur des enjeux. Ce versant du roman est créatif et bien mené. On y trouve une magie élémentaire de type "Feu", qui passe par divers stades dont l'embrasement est le point culminant qui rend la magie permanente. On se sert des cristaux et des pierres précieuses pour canaliser la magie, mais on l'apprendra plus tard, du verre et des pierres peuvent tout aussi bien faire l'affaire. L'emploi des matériaux dispendieux et rares n'étaient en fait qu'une façon de rendre encore plus inaccessible la magie aux plébéiens. On aura aussi des pièces bougeantes à la manière de la "salle sur demande" de la série Harry Potter, de la magie d'apparat et de couleurs à la Passe-Miroir et une sorte de danse pour canaliser l'embrasement qui me rappelle la série télévisée AO ( Original Angel). L'idée des plats infectes qu'on doit modifier magiquement était originale, et symbolique aussi: Imaginez le gaspillage de magie pour ce même groupe social qui peut se permettre de cuisiner réellement les meilleurs mets, c'est ironique et c'est absurde.
Sur les thèmes, je dirais qu'il en a trois majeurs: L'amitié, l'Équité et le Rêve. Pour le premier, on s'en doute un peu, fait écho au roman original de Burnett, dans lequel deux jeunes filles issues de milieux sociaux diamétralement opposés vont devenir pratiquement soeurs ( c'est d'ailleurs le cas dans la version cinématographique). D'abord remplies de préjugés d'un côté comme de l'autre, elle vont finir par voir au-delà de leur apparence et de leur milieu social, pour oeuvrer à un projet commun. Emma est rassembleuse, empathique et tente de rester digne dans sa disgrâce, mais c'est au contact de Izzy, avec son courage, sa force de caractère et son pragmatisme qu'elle ira de l'avant. Les deux filles se complètent bien et s'encouragent mutuellement. Ensemble, elles s'attirent des alliés improbables et découvrent que la magie est bien plus accessible qu'on le pense.
Entre en scène le deuxième thème: L'équité. Il y a un grondement social dans le peuple new-yorkais concernant la restriction magique à la stricte Élite riche. Une aberration double quand on apprend par Figgy le dragon de maison que la magie a besoin de "circuler". Cette même magie devient même bouillonnante et instable quand les "vents flamagiques", supposés arriver en Décembre, font une entrée imprévue quelques semaines avant. Si l'ordre social veut pouvoir améliorer son sort et garder un pouvoir qui est le leur comme tout pour les humains, la magie elle-même semble se révolter. Autour de la question de l'appropriation magique, on retrouvera donc également la notion d'équilibre naturel magique, comme dans la série "Starfell", où l'église avait fait disparaitre la magie en assassinant les femmes sorcières, causant un déséquilibre magique qui ne demandait qu'à être rétablie.
Le troisième est commun aux deux romans et c'est l'idée du "Rêve". Rêves d'avenir, rêves éveillés, désirs de changer ou plaisir de l'imaginaire, le "Rêve" est sous-jacent partout, que ce soit dans les projets des enfants, dans l'amour des livres d'Emma ou l'idée de prendre en mains son avenir. C'est également très inspiré: Les USA sont les champions toute catégorie en matière de rêveries avec le "Rêve Américain" qui séduit encore aujourd'hui des millions de gens de part le monde. Bref, on sort du "pouvoir des rêves" tirés de l'imaginaire au profit de celui d'un meilleur avenir construit sur des Droits et sur l'égalité avec cette réécriture.
Petit détail qui m'aura nargué de la part d'Emma, c'était ce mantra d'inspiration maternelle de "Élégance et grâce" en toutes circonstances. Deux qualités assez inutiles ( à moins d'être ballerine), mais grandement glorifiées à l'époque où les femmes étaient surtout de jolies babioles incultes à marier. Heureusement, le personnage fini par se rendre compte de l'absurdité de ces deux adjectifs, au profit d'une indignation liée à l'injustice, d'une capacité d'adaptation liée à la résilience et son empathie naturelle.
Un autre petit détail que j'ai constaté était la polarisation du personnage de Mlle Lignage, alias Miss Minchin. Cette dernière, bien qu'effectivement sèche, jalouse et cupide, avait me semble-t-il plus de nuances. C'était, me semble t-il, une femme seule jamais mariée, enfant dont on lui avait préféré la soeur et qui au final, était surtout gravement carencée d'amour et d'affection. Sa sècheresse de coeur avait une base et au final, on peut avoir pitié de cette femme. Elle avait par ailleurs été somme toute délicate en annonçant la mort de son père à Sara et non pas hautement cruelle comme Mlle Lignage, totalement insensible. Mlle Lignage était donc un personnage foncièrement méchante et intéressée, mauvaise avec tout le monde et pratiquement psychopathe ( Incapable d'empathie). J'ai un peu de mal avec ce genre de Vilain complètement "Noir de coeur" et ce d'autant plus qu'on ne nous explique en rien le pourquoi d'une telle obscurité. En outre, elle a un passé familial contraire à celui de Miss Minchin: les femmes de la famille ont réellement été impliquée dans les études de leurs pensionnaires, avec de meilleurs services. Comment expliquer alors un tel revirement pour Pétunia Lignage? Je pense qu'on aurait gagné à comprendre son comportement, les antagonistes ayant eux aussi souvent des choses à nous apprendre.
Côté plume, c'est bien écrit, fluide et captivant. Emma nous amène certains mots sophistiqués en plus et tout un vocabulaire magique a été élaboré pour cet univers, même s'il y a certaines similarités avec d'autres oeuvres. Mais on se laisse vite embarquer dans les tribulations des deux jeunes filles et attendrir par les personnages lumineux qu'on découvre au fil de l'histoire. le tout se conclu sur un "happy ending" très senti où tout le monde est gagnant, sauf la directrice cupide, évidemment. Une fin très américaine.
Une belle trouvaille dans le genre "réécriture" et fantastique, qui devrait charmer les amateur(e)s d'univers magiques et de jeunes héroïnes. Si vous n'avez pas lu "la petite princesse", n'hésitez pas, car c'est un "joyau" pour la littérature jeunesse - Ah! le jeu de mots.
Pour un lectorat du troisième cycle primaire, 10-12 ans.
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Créée
le 7 févr. 2022
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