Le paradigme de l'art contemporain par Abernethie
Toute personne s'intéressant au sujet doit lire cet essai. C'est peut-être le premier qui apporte un peu de clarté et de cohérence dans ce fourre-tout incompréhensible qu'est l'art contemporain, sans doute grâce au postulat de l'auteur de ne pas considérer cet art contemporain d'un point de vue chronologique ou esthétique mais comme étant un genre ou plus encore, un paradigme avec ses règles propres.
L'art contemporain dispose ainsi de sa propre définition en opposition à l'art moderne et classique ce qui permet de mettre en évidence toutes ses limites. Car tout en restant parfaitement neutre d'un bout à l'autre de son ouvrage, Nathalie Heinich réussit, en confrontant cet art à toutes les étapes de son existence (réflexion, production, diffusion, exposition, médiation, protection, conservation...) par rapport à ce qui l'a précédé, à révéler ses défauts saillants. L'objet œuvre d'art, qui jusqu'alors était le point de départ, ne devient avec l'art contemporain plus qu'un prétexte à la création et au maintien d'un monde élitiste dans lequel le grand public ne sert plus à rien et où les institutions publiques ne sont plus que des outils à son service. Prétexte avec les ready-made, voire disparaît carrément avec les performances, et l'art conceptuel.
Nathalie Heinich parvient néanmoins à montrer que ce qu'il faut remettre en question est bien l'art contemporain dans son ensemble, ses mécanismes et non les œuvres de manière individuelle qui peuvent présenter un intérêt du point de vue de l'histoire de l'art indépendamment du paradigme dont elles dépendent. Mais clairement, il s'agit d'un travail de fourmi de parvenir à trier le bon grain de l'ivraie face à la folle machine économique lancée depuis une vingtaine d'années et tout aussi clairement, l'analyse esthétique peine à se renouveler aujourd'hui...
Il est un peu dommage, en revanche, que l'auteur n'ait pas d'avantage accentué la critique juridique en confrontant comme pour le reste l'art contemporain au droit applicable. Il est plusieurs fois fait mention du droit d'auteur et de sa difficile mise à niveau (avec un manque de précision parfois, notamment pour les affaires Christo), mais il aurait été intéressant d'aller plus loin en étudiant le droit des contrats, commun et spécial, qui eux aussi mettent en évidence certaines particularités de l'art contemporain. Sans parler des oeuvres qui par nature remettent en cause la dignité humaine, les bonnes mœurs, ou flirtent avec le droit des marques ou des brevets...