Le Parrain de Mario Puzo est connu avant tout comme une saga cinématographique que l'on doit à Francis Ford Coppola (mais avec la complicité de l'auteur du roman au scénario). Et pourtant, le roman ne manque pas d'intérêt. Surtout pour qui a adoré les films.
Le roman est écrit dans un style assez froid, direct, utilitariste. Aucun lyrisme, aucune affectation mais une efficacité pure (Cela a peut-être aussi un peu à voir avec la traduction de Jean Perrier pour cette édition de 2016 parue chez Robert Laffont). On nous livre les pensées des personnages, leurs objectifs, et l'intrigue avance. Mais elle n'avance pas tout droit. Le roman étant divisé en sept livres, il faut savoir que tout n'est pas raconté dans l'ordre chronologique. Le livre qui concerne Johnny Fontane en Californie se déroulant d'ailleurs en même temps que la crise déclenchée par Solozzo à New-York. Le Livre III quant à lui revient sur le passé de Don Vito Corleone, de son départ de sa Sicile natale à son ascension irrésistible jusqu'à 1945. Ce livre servant d'ailleurs de base aux célèbres flashback du Parrain II.
On sent ici une intention d'exhaustivité de la part de Puzo. A sa façon d'expliquer des expressions siciliennes, le principe de l'omerta. De l'importance de l'honneur, et du fait qu'il est impossible à un sicilien de ne pas répondre à une offense. Ainsi, sur ces parties, le livre se rapproche davantage d'un essai sur la mafia que d'un roman. Cependant, les personnages sont riches et variés mais manquent un peu de substance, si ce n'est celui de Vito. Ils sont là pour occuper une fonction et prendre leur part dans le mécanisme général. De sorte que, on appréciera souvent le dynamisme d'une scène de dialogue plutôt que les réflexions du narrateur. Dans la même veine, les descriptions ne sont pas là pour faire littéraire, mais bien pour être efficaces.
Mais cela n'étonne pas, sachant que le silence dans le monde de la mafia est une règle d'or. Trop parler pouvant avoir des conséquences terrible sur les activités ou même sur la vie des protagonistes. Ainsi, dissimuler ce que l'on pense et ce que l'on ressent devient vital. Et c'est là que le style sans affect et pragmatique rejoint le propos, et épouse de le destin du personnage de Michael Corleone. Du petit renégat de la famille ne voulant pas se mêler des affaires, il deviendra le successeur au risque de perdre son âme. Et c'est à l'aune du changement irréversible de ce personnage que l'on commence à être profondément ému, mais pour cela, il faut bien attendre la toute dernière page pour appréhender vraiment l'ensemble de la question.
Enfin, à la lecture du roman, on se rend compte du somptueux travail d'adaptation qui a été réalisé pour les deux premiers films (le 3ème étant un scénario complètement original, n'étant d'ailleurs pas cohérent avec le roman, sachant que Lucy Mancini n'a pas d'enfant de Sonny). Car ce roman était fait pour le cinéma (après, votre serviteur a peut-être été un peu influencé par les films pendant sa lecture). Et le manque de dynamisme et de lyrisme du livre est aisément comblé par une mise en scène brillante dont Coppola a le secret.
Roman culte à bien des égards, Le Parrain n'a pas fini d'écrire sa légende.