Je vous parle d'un endroit secret où les enfants perdus ne grandiront jamais : le Pays de Nulle part. Je vous parle de l'une d'entre eux, petite fille morte à quinze jours. Je vous parle d'une mère qui veut “réussir son deuil”, à défaut d'avoir “réussi son enfant”. Je vous parle de toutes ces mères au ventre vide. Je vous parle de la mère de Peter Pan, qui un jour ferma sa fenêtre, le condamnant à rester dans Neverland, et de Stéphanie Verlaine, qui conserva chez elle ses fœtus dans des bocaux de verre. Je vous parle de la honte et de la douleur des mères. Je vous parle de l'une d'entre elles. Parce que c'est apaisant, la fiction d'une autre. Et pour me convaincre que je ne suis pas elle. D.B


Déclaration d'amour et anti-manuel de deuil, Le Pays de Nulle part est un texte très personnel dont Doan Bui entama l'écriture il y a plus de dix ans. Un roman bouleversant où le tragique côtoie le rire, où l'intime dit l'universel. Un magnifique hommage à la ténacité des mères, et aux enfants trop tôt disparus.


Source : Grasset


Je crois que de cette rentrée littéraire, il n'y a que ce livre que je retiens. Et pourtant ça n'a pas été l'un des textes les plus réjouissants qui soient, loin de là.


Nous sommes en 2013 et Doan Bui est déjà mère de deux petites filles. Elle a perdu une petite fille, née extrême prématurée à 5 mois 1/2 et attend une nouvelle petite fille. Elle vient de passer la deuxième échographie, où tout allait parfaitement bien. Mais voilà que la situation se précipite et, cahin-caha, cette petite dernière arrive elle aussi bien trop tôt (29 semaines d'aménorrhée + 4, alors que théoriquement une grossesse dure 41 semaines). Commence un parcours fait d'amour, de lutte mais aussi de résilience car la petite est pendant 15 jours en unité de néonatalogie et que des examens sont en cours car naître si tôt expose potentiellement à de graves conséquences, notamment sur le cerveau.


C'est assez incongru de dire ça mais quel texte sublime ! Il est bourré de références mais aussi d'humour, bien que le sujet ne s'y prête pas, de prime abord. J'ai pleuré, mon cœur a littéralement flanché. J'étais avec cette famille, bloquée dans cette chambre 14 où le temps s'est suspendu.

Doan Bui est une mère courage, qui certes culpabilise mais n'abandonne pas. Elle s'exprime ici à la troisième personne du singulier, peut-être pour prendre de la distance avec cette situation intolérable. D'origine vietnamienne, j'ai appris que la première personne du singulier n'existait pas réellement en vietnamien. C'est donc tout naturellement qu'un certain recul s'impose donnant une pudeur à chaque mot ici relaté. Tour à tour, les protagonistes du drame s'expriment : des deux autres filles, à l'infirmière qui a suivi Mê-Linh, cette petite princesse endormie. C'est pudique, sensible et chaque mot m'a transpercée. Je le revis encore en écrivant ces lignes et je suis bouleversée.

Un indispensable pour toutes les mères endeuillées mais aussi pour toutes les mères en devenir par une auteure que je relirai sans conteste.


Les vrais je t'aime, ce sont ceux des "pour le pire". Ils se disent dans un hôpital, quand on tutoie l'abîme, quand les mots se bousculent en vrac, lacérés par les larmes, j'y arriverai pas j'y arriverai pas mais si on s'en sortira tous les deux, ma chérie. Les vrais je t'aime sont ceux qu'échangent une femme et un homme, les mains nouées comme deux noyés avalés par la mer, face à leur enfant qui va mourir (p. 173)

Melopee
8
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le 21 sept. 2024

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