Ainsi il va, il court, il cherche. Que cherche-t-il ? À coup sûr, cet homme, tel que je l'ai dépeint, ce solitaire doué d'une imagination active, toujours voyageant à travers le grand désert d'hommes, a un but plus élevé que celui d'un pur flâneur, un but plus général, autre que le plaisir fugitif de la circonstance. Il cherche ce quelque chose qu'on nous permettra d'appeler la modernité; car il ne présente pas de meilleurs mots pour exprimer l'idée en question. Il s'agit, pour lui, de dégager de la mode ce qu'elle peut contenir de poétique dans l'historique, de tirer l'éternel du transitoire.
LE PEINTRE DE LA VIE MODERNE, Charles Baudelaire
Montaigne aussi, peintre de la vie moderne, laborieux en autoportrait c'est vrai, mais quand même :
Chaque homme porte la forme entière, de l’humaine condition [...] La constance même, n’est autre chose qu’un branle plus languissant. Je ne puis assurer mon objet [Montaigne lui-même]. Il va trouble et chancelant, d’une ivresse naturelle. Je le prends à ce point, comme il est, en l’instant que je m’occupe de lui. Je ne peins pas l’être. Je peins le passage : non un passage d’âge en autre […] mais de jour en jour, de minute en minute. [...] Si mon âme pouvait prendre pied, je ne m’essaierais pas, je me résoudrais.
ESSAIS III
Le peintre de la vie moderne développe et subit un rapport fusionnel au présent. Donc, intrinsèquement, au transitoire.
Terriblement poétique, et stupéfiant.
De cette évanescence ressentie nait un petit drame cela dit, un autre genre d'artiste : un artiste plus que moderne, lui, un poil orgueilleux qui voudrait être Dieu, d'écrire au-delà de la modernité, résoudre le monde, se résoudre soi... comme dirait l'autre : lire l'avenir. J'en ai un comme ça, de petit personnage orgueilleux qui parle en moi parfois, un avant-gardiste, c'est mon petit doigt tremblotant, écoutez le comme il est comique à se démener... la seule manière que j'ai de le faire taire c'est de vous le peindre moi-même, je le paraphrase :
S'il est compliqué de trouver cet éternel par la sémantique, autant
que de capturer le timbre d'une cymbale, pour rendre l'image de notre
monde en transit dans sa plus pure essence possible, s'il est
compliqué car la vie peut-être n'est-elle pas du tout sémantique,
peut-être serait-il alors davantage possible de la rendre par le
rythme ? Qui, lui, est bien plus perceptible, et je dirais même plus,
nous berce naturellement… à la différence du sens qui nous demande un
effort, peut-être vain, en ce qu'il n'existe soit pas, soit qu'il nous
dépassera peut-être toujours fatalement… peut-être, peut-être,
peut-être même oserais-je dire que le rythme, et non le sens, est l'essence de la vie
… le timbre est une vue de l'esprit, pour le plaisir, le
plaisir du timbre, et le plaisir de la diversité, de la somme et
diversité des transitoires, de la réalité augmentée, en ce que la
nuance garantit le bien-être de l'homme, qu'il soit de confort ou de
survie, puisque le beau selon Stendhal n'est que la promesse du
bonheur… le rythme serait l'essence, le support, la structure, à
laquelle on n'échappe que dans la douleur et jamais qu'en pensée,
d'autant plus douloureuse qu'elle cherche à tout creuser...
Un artiste ayant le sentiment parfait de la forme, mais accoutumé à exercer surtout sa mémoire et son imagination, se trouve alors comme
assailli par une émeute de détails, qui tous demandent justice avec la
furie d'une foule amoureuse d'égalité absolue. Du support rythmique, le
timbre en serait la couleur arbitraire, les couleurs, le détail, les détails, un
réseau grouillant de champs de bataille comme autant de berceaux d'une
variation de pensée permise, pensées permises, autour de l'analyse et
du sensuel autant en conflit qu'en synergie, dans un frétillement
multiple et protéiforme, magnifuscule manifestation d'un éventuel sens
caché, indicible. Que l'on s'en perdrait en longueur...
...l'avant-garde est un one man show.
Le peintre de la vie moderne, lui, Baudelaire - dans ses Ekphrasis de gravures (celles de M.G, sujet de l'Essai) autant que dans son éloge du maquillage - le peintre de la vie moderne je disais, est un rapshode. Itinérant, témoin, racontant les oeuvres des autres comme autant de détails de son monde, avec lesquels par son jeu il entre en communion édifiante :
De la scène où je suis, je regarde mon public : il faut que leurs pleurs, leurs regards étonnés, leur terreur même répondent à mes paroles.
PAROLE DE RHAPSODE
https://youtu.be/7xjpWhqx2hs
Dans les hautes coutumes d'Anatolie il y a celui de
l'accueil
On ne laisse un oiseau ni gir ni gémir esseulé sur son
seuil
Et le geste d'Abdel ZEYNIKI est celui d'un enfant
Qui va faire de son âme si petit un amour bien plus grand
Et l'oiseau ne pouvant plus voler était bien à l'écoute
Du rhapsode à la voix voilée par la poussière de la route
C'est en écoutant tout le temps restant que ses ailes ont
poussés
Et qu'Abdel bien moins aveugle qu'avant à fini par migrer